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World War Z : l’impossible salut

World War Z de Marc Foster a tous les traits d’un film captivant sur la fin du monde :

  • Un héros au passé aventurier, doté d’un cœur de père.
  • Une énigme à résoudre : d’où vient l’épidémie ? La clé de voûte du film est le retournement de cette énigme qui passe du « pourquoi l’épidémie »  au « comment combattre le danger ».
  • Des images de foule à couper le souffle, allant de vues aériennes de foules  en panique aux bâtiments sacrés de l’humanité incendiés.

Le film n’est pas le récit d’une fin du monde comme les autres. Dans World War Z, ni invasion extra-terrestre ni catastrophes naturelles en chaîne. Représentation funeste et scénarisée de l’épidémie H1N1, World War Z dépeint l’humanité comme le générateur de sa propre destruction. Cette lutte des êtres humains contre eux révèle l’enjeu social et politique du film.

Dépourvue de tout lien social et légal, comment les êtres humains s’en sortent-ils ? Que veut nous dire le film sur la nature et la culture humaines ? Peut-on y voir une satire de la société contemporaine ? Quelles figures sont au contraire valorisées ?

I – Savoir et agir : deux postures en tension

Dommage que les commentaires du héros Gerry à la fin du film nous imposent une morale officielle à retenir. Les morales de La Fontaine ou Perrault ne sont intéressantes que parce qu’elles conduisent à une réinterprétation de la fable ou du conte ou offrent plusieurs lectures possibles. Gerry nous invite donc à battre tant qu’il est possible de se battre, mais plutôt que de s’en tenir à cette phrase, nous allons tenter de voir comment le combat (l’action) et la science s’opposent et communiquent dans le film

« Movimiento es vida » : l’éloge du mouvement

Plusieurs passages du film font prévaloir l’action sur la réflexion. La famille hispanophone désirant se réfugier dans leur appartement succombe à l’épidémie, alors que Brad Pitt, alias Gerry, affirme (en espagnol !) : « Movimiento est vida ». Il répète cette phrase après le crash de l’avion (« we’ve gotta move »), bien qu’une barre de fer lui transperce le tronc. A Jérusalem, Gerry a le bon réflexe de couper la main du femme-soldat israélienne. Il révèle plus tard qu’il l’a fait sans savoir si cela allait avoir un quelconque effet. Au moment où la mort le menace dans l’avion il décide d’agir, à tout prix, en lançant une grenade sur les zombies. Mieux vaut toute prise de risque que d’attendre tranquillement la mort. La fin du film est construite sur le même schéma : n’ayant pas le choix, Gerry sort de la salle où sont conservés les virus sans être sûr que sa contamination éloignera les zombies sur son chemin. Mais qu’a-t-il à perdre, au fond ?

Nous pouvons tirer deux conclusions brèves :

  • L’action ne garantit pas la survie, mais elle caractérise l’élan de la vie, ce qui rapproche le film de la théorie darwiniste de la lutte naturelle entre les espèces.
  • L’action comme outil cinématographique dote le film d’une grande tension dramatique, qu’on ne trouve pas dans d’autres films catastrophes noyés dans le verbiage scientifique. Le débat touche le genre artistique de l’aventure dans son ensemble. Les romans de Jules Verne alternent entre discours scientifiques et péripéties extraordinaires, si bien qu’on hésite encore entre l’appellation « roman scientifique » et celle de « roman d’anticipation ».

« He’s just a kid » : la satire de l’inertie scientifique

World War Z s’affiche clairement contre la technocratie. A bord du bateau de l’ONU, un groupe de scientifiques  s’adonne à une querelle de chapelles entre les défenseurs de l’improbable et les partisans de la raison, ce qui ne produit que du discours sans acte. La mort du jeune professeur Fassbach dans les premiers instants du film, montré en jeune chercheur loufoque et lâche, révèle également le peu d’aide que la science peut apporter en cas de crise majeure. Comment ne pas penser aux dizaines de commissions et rendez-vous scientifiques ayant lieu sur le réchauffement de la planète sans qu’aucune décision soit prise ? Il est difficile de dire si le film regrette que la science ne soit pas assez écoutée ou s’il brosse un portrait à charge d’une recherche scientifique pleine de matière grise mais sans armes…

La science et l’action se réconcilient bien sûr dans la deuxième partie du film qui se passe dans le centre de recherche de l’OMS de Cardiff. L’empirisme de Gerry et la connaissance des scientifiques contribuent tous deux à la production d’un remède camouflage contre les zombies. Toutefois, le scepticisme des chercheurs de l’OMS face à la proposition de Gerry relance le stéréotype du savant orgueilleux et seul dépositaire d’un savoir qu’il ne veut pas partager.

Satire de la science, oui, mais que valoriser en compensation ?

La littérature est riche de satires s’attaquant à la pédanterie scientifique et politique. Le Malade imaginaire de Molière et Le Petit Prince de Saint-Exupéry ne sont que deux exemples parmi des milliers mais révèlent la persistance du topos. Chez Molière, la satire des médecins ne réfute pas l’existence de véritables savoirs scientifiques. Quant au Petit Prince, la critique du géographe enfermé dans son bureau sert à prôner l’ouverture sur le monde et la capacité à donner de l’importance aux choses qui en valent la peine. Au contraire, World War Z réveille la critique de la science en provoquant maladroitement l’éloge de la violence, discrètement mais sûrement !

Le seul danger de montrer l’impuissance de la science comme dans World War Z est de faire surgir des discours du type : « Pourquoi se fatiguer à étudier et chercher puisque rien ne vaut un fusil pour combattre le mal ?« . Les productions culturelles ne sont bien sûr pas là pour servir à quelconque propagande humaniste mais à révéler les profondeurs de l’humanité, qu’elles soient flatteuses ou non. Il n’est donc pas question de condamner le film parce qu’il montre que la violence gagne toujours (puisqu’en dernier recours c’est malheureusement vrai). Encore faut-il que le spectateur ne finisse pas séduit par l’idée de pouvoir tirer sur ses concitoyens un jour de trouble social…Le risque de toute satire est d’être prise à la lettre !

II – La question sociale : entre nature et culture

La crise mène-t-elle forcément à la destruction de « l’animal politique » qu’est l’homme ? Notre comportement en société n’est-il qu’un maquillage que nous portons par contrainte, prêt à s’effriter dès qu’une faille se produit dans l’organisation sociale ?

Un ordre social bien fragile

World War Z montre des scènes de panique, comme celle du supermarché, où le respect de la dignité humaine disparaît sous la pression de la lutte pour la survie et la cupidité. L’inaction du policier face au crime que vient de commettre le héros est le premier symbole de la chute des autorités officielles. La crise de l’autorité déshumanise, ce qui n’est pas démenti par les catastrophes récentes : la panique lors du naufrage du Costa Concordia par exemple. Je préfère ne pas mentionner l’exemple des guerres afin de ne pas tomber dans un débat tout aussi intéressant mais hors de propos ici, celui de la « bonne » et de la « mauvaise » guerre.

Les plans larges de foules participent de cette anonymisation de l’humanité, en transformant l’individu en une fourmi parmi des milliers d’autres fourmis identiques. Titanic de James Cameron utilise les mêmes plans de foules pour une atmosphère similaire dans les derniers instants du naufrage.

L’homme tâtonnant

A côté de ce visage inquiétant de l’humanité qui fait de l’ordre social un rempart fragile face à  la défense naturelle des intérêts personnels en temps de crise, World War Z prône aussi l’entraide. Non seulement dans les phrases de conclusion en voix off mais aussi dans certains passages : la quête des virus dans le centre de l’OMS, l’aide mutuelle que s’apportent Gerry et Segan, etc. Cette entraide est toutefois noyée dans les tâtonnements malheureux des hommes, comme l’excitation des zombies à Jérusalem provoquée par le bruit des prières des individus protégés par les murs. Les tentatives d’endiguement par explosion sont également les signes d’un empirisme maladroit qui alimente le film en images apocalyptiques qui confirment la thèse de l’auto-destruction mêlée à un effet boule de neige. Il est bien connu que les catastrophes sont provoqués à 20 % par des incidents techniques et à 80 % par des erreurs humaines…

III – La connotation politique

Une esthétique de l’existence (savoir/agir), une peinture de la société en crise (anarchie ou lien social)…World War Z est aussi une peinture politique, même si celle-ci est surtout allégorique.

La sélection…pas si naturelle que ça

Le film sacre le pouvoir de l’armée, seule détentrice des armes, des compétences combatives et des hommes entraînés à vivre des expériences éprouvantes. Les scènes les plus dures à supporter sont celles qui sont les plus vraies : l’évacuation du « personnel non-nécessaire » par hélicoptère afin de ne pas encombrer la flotte de l’ONU. Ne jouons pas les choqués alors que nous fermons tous les jours les yeux devant les pauvres qui jonchent nos rues. Même dans un Etat de droit, les personnels « non-nécessaires » sont malheureusement exclus, et il serait hypocrite de nier cette vérité. World War Z évoque non seulement la sélection naturelle des espèces mais aussi la sélection politique, organisée par le système politique, que ce soit consciemment ou non.

TitanicArmageddon, Deep Impact et 2021 ont tous soulevé la question de la sélection : qui faut-il sauver ? Faut-il plutôt sauver la vie d’un être humain ou embarquer La Joconde ? Les riches doivent-ils passer avant les pauvres ? Les femmes avant les hommes ? Les traders avant les artistes ? Le mythe de l’arche de Noé nous habite toujours. Il est difficile pour chaque spectateur qui sait qu’il n’est pas un héros (moi le premier !) de se dire qu’il n’a aucune chance d’être sauvé par les autorités. Les films catastrophes sont en cela des bombes cathartiques.

Le zombie : l’allégorie du mal à combattre ?

On est tenté de voir des symboles partout, je ne me lancerai donc pas dans des amalgames scabreux qui assimilerait l’invasion zombie à la standardisation du monde, qu’elle soit religieuse ou culturelle. Chaque spectateur verra dans les zombies le mal qu’il veut.

Il est plus convaincant de s’intéresser à la figure du zombie comme individu ni mort ni vivant, cet humain déshumanisé. On peut y voir un parallèle intéressant avec Rhinocéros de Ionesco : comme Béranger, Gerry se bat pour ne pas être contaminé. Plutôt que de chercher ce que représentent les zombies politiquement, il convient de se concentrer sur la figure de la métamorphose et ce qu’elle permet artistiquement (étapes de la transformation) et philosophiquement (question de l’identité). La transformation d’individus en zombies donne le droit de tuer. L’image gênante à la fin du film où un stade rempli de zombies se fait bombarder interpelle : ces zombies sont-ils encore des êtres humains ? Leur métamorphose laisse planer le doute…Le cas du chercheur de l’OMS dont l’enfant a été tué par « quelque chose qui avait été sa femme » est encore plus troublant. Le corps n’est pas garant de l’identité. Gerry veut se jeter du toit de l’immeuble au moment où il se croit contaminé, comme s’il allait arrêter d’être lui.

Dommage que le film n’ait pas mis Gerry face à la version zombie de son épouse pour apporter un élément de réponse à cette question de la métamorphose. Le film inquiète plus qu’il ne fait peur, il fragilise la conception solide que nous pouvons avoir de la société, qui ne peut pas fonctionner sans solidarité. En effet, un être humain peut devenir un monstre en une poignée de se secondes (12 selon le film !), et justifier des crimes. Un lien social fondé sur la somme des intérêts personnels est un leurre, c’est la seule leçon politique non-partisane qu’il est possible de tirer de ce film. 

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