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Les parcs Disney et l’architecture

Rem Koolhass, dans New York Délire, définit la colonisation architecturale comme une « greffe d’une culture spécifique sur un site étranger ». Il donne comme exemples le London Bridge reconstruit à l’identique dans l’Arizona et les Roman Gardens de Murray à Manhattan. Il est difficile de ne pas associer ces définitions à l’existence des parcs de loisirs, ces monstres urbains qui naissent comme des champignons à partir de champs recouverts de pavés, de bitumes et de lacs artificiels. Les parcs Disney sont les exemples les plus probants de colonisation. Sur des terrains vagues, les six complexes Disney sont nés à partir de rien pour imposer la culture Disney dans des lieux où la culture leur semble antinomique. Les parcs Disney ont réussi à s’implanter près de Paris et de Shangai en proposant les mêmes attractions et les mêmes principes architecturaux issus de l’univers des dessins animés Disney. Comme le dit Rem Koolhass, il s’agit là d’une « reproduction parfaite et conventionnelle de souvenirs d’un voyage qui n’eut jamais lieu ». Les parcs Disney n’imitent rien qui existe ailleurs car il est question de transposition dans la réalité de produits culturels et cinématographiques. Que nous promet cette architecture du rêve ? Est-elle une promesse de réalité ou d’évasion ? Sommes-nous heureux de contempler l’inexistant ou la reproduction de la réalité ?

I – Le naturel et la promenade

Les parcs Disney sont d’abord des lieux de promenades visant à susciter une émotion chez le visiteur. Il est possible de s’éblouir sans monter sur aucune attraction. Les parcs Disney construit des villes et des jardins qui ne sont pas si détachés de la réalité. Comme Umberto Eco l’écrit dans La Guerre du faux, nous prenons plaisir à nous promener sur des rivières bordées d’automates qui fascinent par le hyperréalité, c’est-à-dire leur capacité à reproduire la réalité en la maîtrisant totalement.

Les jardins

Les jardins sont très nombreux dans les parcs Disney car ils favorisent l’errance, jouent avec la perception de l’espace et permettent une immersion dans un univers aux allures naturelles et pourtant à la conception bien artificielle. En effet, même les jardins sont thématiques et proposent une plongée dans des espaces recréant une atmosphère tirée des héritages culturels. Shangai Disney Resort qui ouvrira ses portes en juin 2016 en fera même une zone thématique à part entière en invitant ses visiteurs au cœur des: Gardens of Imagination (jardins de l’imagination). Les promeneurs pourront y découvrir une allée mettant en scène les signes du zodiaque chinois illustrés par les personnages des dessins animés Disney. A l’entrée de Disneyland Paris, les Fantasy Gardens accueillent les visiteurs et constituent la première attraction du parc. Nous pouvons nous éblouir devant les fontaines, la statue de Mickey, les kiosques bucoliques en suivant des chemins sinueux qui ralentissent l’accès aux parcs et dilatent ainsi le temps. Les parcs Disney en Asie semblent particulièrement attachés aux jardins car ils sont au cœur de l’art de vivre local. On peut se promener dans la Fairy Tale Forest et les Gardens of Wonder à Hong Kong Disneyland, pour ne citer qu’un exemple. Comme Robinson Crusoë, les parcs Disney invite à l’exploration de jungles artificielles dans la zone thématique Adventureland dupliquée dans quasiment tous les parcs Disney existants.

Places et rues : l’inspiration du passé

« Main Street n’est-elle pas parfaite ? » se demande Robert Venturi dans Complexity and Contradiction. L’architecte compte s’éloigner du modernisme pour faire l’apologie du réel et retrouver le rôle du symbole contre les mégastructures expressionnistes. L’architecture est conçue de telle manière qu’elle produit des places et des rues. Tous les parcs à thème ont un axe principal servant de repère. Même le petit parc Bagatelle dispose de sa large allée centrale. L’effet est démultiplié dans les parcs Disney qui font de l’architecture une attraction en soi. Dans les Main Street USA présentes dans la majorité des parcs Disney, point de montagnes russes, point de manèges. On traverse une rue imitant le centre d’une petite ville des Etats-Unis du début du XXè siècle simplement pour le plaisir des yeux tant s’y mélangent les couleurs des façades et la variété des toits cinlinés, des pignons et des fenêtres : « l’image de la rue commerçante, c’est le chaos écrivent Venturi, Scott Brown et Izenour dans L’Enseignement de Las Vegas. Ils écrivent encore : « Les qualités essentielles de l’architecture des zones de divertissement sont la légèreté, le charme d’apparaître comme des oasis dans un contexte éventuellement hostile, l’utilisation du symbolisme réhaussé et la capacité d’absorber le visiteur dans un rôle nouveau ». Les attractions et les boutiques des parcs Disney sont des hangars décorés : les façades richement décorées contrastent avec leur arrière conventionnel en béton visible depuis les vues satellites. Il s’agit d’un style « décréatif » (Richard Poirier dans T.S. Eliot) qui imite les styles en les parodiant à une échelle réduite comme des maisons de poupées. Cette architecture qualifiée de « laide et ordinaire » sans jugement de valeur par les auteurs de L’Enseignement de Las Vegas produit de la monumentalité et répond à un « besoin individuel d’intimité et de détail que le design moderne n’assouvit pas mais qui est satisfait par des reproductions de Disneyland à l’échelle cinq-huitième ».

Passage obligé des parcs Disney, Main Street USAnous immerge dans un passé idéalisé. Les rues se croisent en de vastes places, comme dans une ville. Main Street USA commence sa route par Town Square et se termine par la Central Plazza distribuant les accès aux différentes zones thématiques. Disneyland Paris a même l’audace de présenter à ses visiteurs une réplique d’une rue typiquement haussmanienne inspirée par le dessin animé Ratatouille. Nous sommes bien dans ce cas du syndrome d’hypérréalité décrit par Umberto Eco. Nous ne cherchons plus l’authenticité d’un patrimoine historique mais la reproduction ludique de ce qui existe réellement ailleurs dans le monde. « Les copies sont plus intéressantes que les originaux », écrivent les auteurs de L’Enseignement de Las Vegas.

Rivières tortueuses

Les parcs Disney se construisent au fil des plans d’eau propices à l’aventure. Les rivières qui sillonnent les parcs sont autant de prétextes à l’évasion et à l’aventure. L’attraction Pirates of the Caribbean, la promenade à bord d’un bateau à aubes du XIXè siècle et la Jungle Cruise sont dupliquées dans quatre parcs sur les six existant. Splash Mountain est présente dans trois parcs et It’s a small world dans cinq parcs sur six. L’évasion procurée par ces différentes attractions sous la forme d’une promenade est plurielle. Il s’agit dans les Jungles Cruises et Pirates of the Caribbean d’admirer des automates imitant la réalité. Umberto Eco précise que ces automates sont primoridaux pour vivre en aventure fictivement dangereuse en toute sécurité. Dans It’s a small world, le promeneur prend place à bord d’un bateau circulant au milieu de poupées articulées représentant les cultures du monde entier. A l’instar des grands aventuriers et des grandes explorateurs, le visiteur touche du doigt le cosmopolitisme. La promenade est alors synonyme d’ouverture d’esprit. Faire voyager sans se déplacer, voilà la clé de l’architecture Disney. Le béton vient à la rescousse pour faire de n’importe quelle structure un élément qui semble naturel et qui nous fait voyager. Nous n’aurions peut-être pas les mêmes émotions face aux montagnes de l’ouest américain car elles sont réelles. La construction du faux fait davantage rêver que la réalité. C’est sur ce paradoxe que les parcs Disney font reposer leur magie, sur une architecture d’imitation qui n’imite pas les lieux réels mais l’imaginaire que nous en avons.

II – La ville tour et la polarisation

Auguste Perret a créé le concept de ville-tour. Son travail est cité par Le Corbusier dans Vers une architecture. Il s’agit d’une ville idéale composée de tours éloignées de deux cents à trois cents mètres l’une de l’autre. Entre les tours se trouvent de vastes jardins que Le Corbusier veut semblables aux jardins de Louis XIV à Versailles.Les parcs à thème Disney se polarisent de la même façon : des monuments élevés sillonnent les parcs pour créer des points de repère aux pieds desquels se développent des places, rues et espaces de végétation.

Les monuments producteurs de pôles dans les parcs Disney sont sensiblement les mêmes à travers le monde. Le château de Cendrillon ou de la Belle au Bois Dormant se trouvent au centre des parcs et ouvrent sur la zone thématique réservée aux attractions inspirées des contes de fées Disney. La Cabane de la famille Robinson s’élève à Disneyland Paris, à Tokyo et Walt Disney World en Floride. Dans les parcs de Hong Kong et de Californie, il s’agit de la maison de Tarzan dans les arbres. Ces arbres factices et gigantesques symbolisent la zone thématique dédiée aux récits des aventuriers. La zone thématique vouée à la technologie est symbolisée par la structure imposante de l’attraction Space Mountain dans cinq parcs sur six. Enfin, la zone dédiée au Far West est symbolisée par une montagne digne de l’ouest américain dans les deux parcs aux Etats-Unis, à Disneyland Paris et à Tokyo. A Hong Kong, l’attraction Big Thunder Mountain qui habite cette montagne a un nom différent : Big Grizzly Mountain. Les parcs Disney respectent donc le principe de la ville-tours. N’oublions pas que Rem Koolhass, dans New York Délire, attire notre attention sur le fait que le parc d’attractions Dreamland à Coney Island à New York faisait reposer son paysage sur de centaines de tours qui donnaient au lieu son chaos si caractéristique.

Les parcs Disney fondent donc leur plan sur des pôles visant à attirer le regard et à produire des points de repères symboliques pour nous orienter à travers les différentes zones thématiques. Mieux encore, les parcs proposent un récit propre à chaque zone, ce qui en fait des microcosmes à part entière.

III – Le délabrement et l’aventure

Dans les parcs Disney, l’architecture n’offre pas que des hangars richement décorés. L’aventure prend aussi place dans des décors volontairemen délabrés qui immerge les visiteurs dans une prise de risque. Le design du délabrement procure un surplus d’adrénaline et augmente la volonté de prise de risque. Les visiteurs s’apprêtent à être les acteurs d’un voyage plein de dangers dont l’intensité est à la hauteur des ruines qui se donnent à voir. Les visiteurs, dans les files d’attente décorées, sont d’abord les témoins d’un cataclysme avant d’en être les héros. Dans l’attraction dédiée à Indiana Jones à Disneyland Paris et à Disneyland Resort, les visiteurs attendent leur tour au milieu d’un camp d’aventuriers qui semblent à l’abandon. Ils découvrent progressivement les dangers auxquels il se confrontent en serpentant au sein des ruines d’un temple et de rochers éclatées sur le sol.

L’attraction Hollywood Tower Hotel existant dans trois parcs Disney met elle aussi le délabrement à l’honneur. La file d’attente évolue au milieu du hall d’un hôtel désaffecté : on y trouve une décoration abondante, des valises oubliées et des dizaines de bibelots couverts de poussière comme si le temps s’était brutalement arrêté après une tragédie que les visiteurs sont invités à éprouver dans des ascenseurs en chute libre.

Quant à l’attraction très dupliquée Big Thunder Mountain, les visiteurs y prennent place à bord d’un train minier élancé à travers le décor d’une mine désaffectée touchée par une étrange malédiction : les propriétaires de la mine ont exploité une montagne protégée par le dieu du tonnerre qui produit des éboulements à chaque signe de violation par les êtres humains. Par la mise en scène des files d’attente, l’attraction devient récit. Jusque dans ses parcs, Disney veut raconter des histoires pour une immersion totale.

Le manoir hanté est présent dans cinq des six parcs Disney.. Alain Littaye et Didier Ghez citent Walt Disney dans leur ouvrage Disneyland Paris, de l’esquisse à la création: « Nous devons nous occuper de l’aspect extérieur du bâtiment. Les fantômes, eux, auront toute liberté pour s’occuper de l’intérieur ». Sa volonté a été satisfaite puisque la Haunted Mansion de Disneyland en Californie est une bâtisse robuste pleine de santé de style colonial dans la zone thématique New Orleans Square. Si Phantom Manor se trouve dans Fantasyland dans la plupart des parcs, il se trouve à Frontierland à Disneyland Paris, ce qui nécessitait une toute autre histoire et un tout autre aspect. Le manoir appartenait à la famille Ravenswood et a commencé sa longue ruine après le mariage macabre du propriétaire des lieux et de la mine Thunder Mesa. La communication étant plus laborieuse dans le parc européen du fait des nombreuses nationalités qui s’y cotoient qu’il a fallu faire de l’extérieur un symbole clair de mystère et de lugubre.Le Mystic Manor de Hong Kong est tout sauf un bâtiment en ruine. Il est plein de couleurs, de décorations et de coupoles bigarrées.

En somme, les parcs Disney propose une architecture exclusivement symbolique. L’architecture factice devient authentique par les récits qu’elle met en scène. Les parcs acquièrent une authenticité grâce à l’impression de naturel qu’ils construisent et à la technique du faux délabrement qui donne un cachet historique aux histoires inventées. Le voyage dans l’espace s’assimile à un voyage dans le temps. Il est à ce propos utile de rappeler que les villes construites par Disney, comme Val d’Europe à Marne-la-Vallée, s’approprient une architecture traditionnelle issue du modèle du Paris haussmanien et des théories du Nouvel Urbanisme. Ces espaces créés ex nihilo acquièrent une histoire à travers les interprétations et les imitations des architectures du passé.

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L’utopie chez Jules Verne (partie 2)

L’ouest américain symbolise l’esprit de conquête du XIXè siècle. La ruée vers l’or et l’âge d’or du Far West font se toucher du doigt le rêve et la réalité. Il n’est pas étonnant que c’est dans ce cadre que Jules Verne ait décrit deux utopies assez méconnues dans le roman Les 500 Millions de la Begum. Les deux cités qu’il y décrit sont bâties par deux héritiers d’une fortune colossale : le docteur Sarrasin, français, et Herr Schultze, allemand. Les deux hommes construisent deux cités idéales antithétiques au bord du Pacifique, dans le cadre « grandiose et sauvage » de l’Oregon, jeune Etat américain.

France-Ville

Le docteur Sarrasin décide d’investir ses millions dans une cité idéale dont la particularité repose sur l’hygiène. Son nom est France-Ville. Le docteur compte bien y faire régner le mariage entre les connaissances scientifiques en matière d’hygiène et l’urbanisme. On y trouve de l’air et de la lumière, éléments indispensables à la vie. L’hygiène a comme but premier de renforcer la force de travail des habitants, aucune « existence oisive » n’y étant autorisée. L’objectif de cette ville est de se hisser en modèle de la « Cité du Bien-Être » pour toutes les autres agglomérations. Jules Verne en fait la description précise dans le chapitre 10 à travers un article fictif tiré d’une revue allemande intitulé « Unsere Centurie ». La forme de l’article rend vivante la description de « cette cité merveilleuse » et évite l’écueil du catalogue.

Un emplacement idéal

La première des trois caractéristiques essentielles de France-Ville est son emplacement. D’un côté, les montagnes rocheuses. De l’autre, l’océan Pacifique. L’article précise aussi que la ville est irriguée par une petite rivière « dont l’eau fraîche, douce, légère, oxygénée par des chutes répétées et par la rapidité de son cours, arrive parfaitement à la mer ». En plus du port et ses jetées, on apprend aussi que « parout l’eau coule à flot ». Les éléments sont donc représentés dans un parfait équilibre : l’air du vent est contrôlé par la présence de montagnes et l’eau coule paisiblement et permet le transport. Le feu vient quant à lui servir de technique d’épuration des hôpitaux, fréquemment brûlés et reconstruits pour être assainis. La ville est reliée au reste des Etats-Unis par un chemin de fer flambant neuf.

Les mesures d’hygiène

L’hygiène est primordiale dans le microcosme utopique de France-Ville. Les nids à poussière comme les tapis et les papiers peints sont exclus du cahier des charges des bâtiments officiels et des habitations. Les hôpitaux sont réservés à un petit nombre de cas urgents afin d’éviter la concentration des miasmes à un seul endroit. Un jardin à chaque carrefour vient apporter la fraîcheur nécessaire aux rues coupées en angles droits. Une brochure est confiée à chaque nouveau foyer pour expliciter les comportements exemplaires en matière d’hygiène. Les rues sont aussi nettes que « le carreau d’une cour hollandaise ». On comprend là que Jules Verne, dans cette projection de la cité idéale, se place aux antipodes de l’insalubrité parisienne que nous lirons chez Emile Zola. Le Corbusier écrit dans Vers une architecture que le but moderne de l’architecture est de revenir à la conception de maisons : Jules Verne en donne quelques pistes de réflexion.

La Cité de l’acier

La cité rivale de France-Ville est l’usine à canons de Herr Schultze, nommée Stahlstadt ou « Cité de l’acier ». Jules Verne précise qu’il s’agit d’une « Fausse suisse » car, si le paysage jouit des montagnes, il est cependant dénué de toute vie naturelle. La « Cité de l’Acier » s’inscrit dans un désert épuré de tout hasard. L’usine se compose de 18 villages d’ouvriers constitué de « maisons de bois uniformes et grises ». Au centre se trouve une « forêt de cheminées cylindriques » au-dessus de bâtiments troués de « fenêtres symétriques ». Plus qu’une « usine modèle » et rationalisée, la Cité de l’Acier est une « ville véritable », un « établissement monstre » «  isolé du monde par un rempart de montagnes ». Des fossés et des fortifications viennent protéger le secret impénétrable de l’activité qui règne dans l’usine.

Si on tente de définir les différences entre France-Ville et la Cité de l’Acier, on notera d’abord le motif de la nature, présente et maîtrisée à France-Ville et totalement neutralisée dans la Cité de l’Acier. On trouvera ensuite l’hygiène qui est le maître-mot de France-Ville tandis que la Cité de l’Acier crache ses nuages imposants de fumée. Le point commun à ces deux microcosmes et leur création spontanée, sous la forme de villes champignons prenant place dans un environnement sauvage. Il est étonnant de voir que ces deux utopies ne se soucient pas d’améliorer l’existant mais de tout créer ex nihilo, reprenant l’histoire des villes pionnières des Etats-Unis comme New York que Rem Koolhass, dans New York Délire, nous décrit comme un espace rapidement rationalisé par des plans et ne laissant rien au hasard au moment de sa conception. L’utopie ne peut-elle pas renaître dans nos villes déjà existantes ? Nos villes sont-elles vouées à l’imperfection ? C’est une question aujourd’hui soulevée dans la conception du Grand Paris et qui méritera bientôt un article.

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Disneyland Paris et l’appropriation des valeurs de la bourgeoisie du début du XXè siècle : positivisme, technique et conquête

Nous avons vu dans l’article précédent comment l’architecture de l’Hôtel Disneyland renvoyait davantage une ambiance que des images de dessins animés. Cette ambiance est un produit complexe de l’union d’attributs de la marque Disney et de références culturelles extérieures à la marque. Par ce procédé, nous pensons que Disneyland Paris projette sa propre vision de l’histoire occidentale sur des époques antérieures à l’existence même de la marque.

Hotel-del-Coronado-signature-shot (1)Figure 1 : Hotel del Coronado à San Diego

Disneyland_Hotel_Disneyland_ParisFigure 2 : Disneyland Hotel, l’entrée du parc Disneyland

L’Hôtel Disneyland (Figure 2) invite à la conquête sur fond de positivisme tiré de l’époque victorienne. Les cartes postales offertes aux résidents indiquent : « Le Disneyland Hotel, un grand palace victorien du début du siècle ». L’architecture victorienne de l’hôtel s’inspire de l’hôtel Coronado (Figure 1), palace balnéaire construit en 1888 à San Diego, aux Etats-Unis. Le Disneyland Hotel, qui donne accès à Main Street USA, la première partie du parc sur le thème des révolutions au tournant du XIXè siècle, associe donc la nostalgie du passé pré industriel et la croyance sans limite envers la puissance de la technique. C’est ce double mouvement qui caractérise la bourgeoisie selon Christophe Charle ( Christophe Charle, Histoire sociale de la France au XIXè siècle, Points Seuil, 1991) : les bourgeois cultivent une forme de passéisme en accumulant des biens d’antiquité et des collections d’oeuvres d’art pour se créer un capital, une existence et des repères. D’un autre côté, ils sont fascinés par le progrès. La confusion entre le rêve et la technique caractérisait l’esprit bourgeois de la fin du XIXè siècle. Toujours selon Adeline Daumard, « les inventions nouvelles étaient devenues un sujet d’orgueil et un refuge pour le rêve »(Adeline Daumard, La bourgeoisie en France de 1815 à 1914, Flammarion, p.248), comme le vélo, le téléphone, l’électricité, les vaccins, etc. Les bourgeois ont la sensation de pouvoir dominer les forces naturelles grâce au progrès : « Les bourgeois aisés qui, les premiers, pouvaient user des découvertes modernes, commençaient à se croire maîtres de la nature ». Les bourgeois étaient à la fois attachés à la croyance et à la science sans clairement les distinguer. Pour Adeline Daumard, la morale bourgeoise est une association de « croyances religieuses » et de « convictions rationalistes », qui ont en commun les notions de choix et de conscience propres à la société libérale.

On comprend maintenant pourquoi Disneyland, dont l’objectif est de faire des rêves des réalités, s’est approprié la culture bourgeoise de cette époque pour appuyer la doctrine du département Imagineering de Disney dont l’obsession est de matérialiser les rêves de l’imagination par la technique. Cette doctrine comprend aussi la méfiance envers les génies, la priorité donnée à l’action et à la concrétisation des rêves par l’innovation matérielle. Le livre de Jeff Kurti évoque l’imagénieur Marvin Davis en ces termes : «He had a strong sense of and understanding of theater, and to give life and meaning to structures, which typically most formally trained architects aren’t interested in. He knew how to create architectural form that had a message for people ». Le rêve n’a donc de sens que s’il est realisé: «Disney assembled a creative team that would blend “creative imagination” with technical “know how » (« Disney a réuni une équipe de créateurs capables de concilier ‘l’imagination créatrice’ et l’aptitude technique à l’appliquer : les imagénieurs », Jeff Kurti, Walt Disney’s imagineering legends and the genesis of the Disney theme park, Disney edition, 2008, p.XIII )

Nous répertorions deux déformations générées par l’identification de Disneyland à l’esprit bourgeois. La première concerne la technique comme instrument de découverte. Pour les bourgeois de la Belle Epoque, le progrès est dans la technique, comme on peut le voir dans les romans de Jules Verne : le canon de De la Terre à la Lune permet de conquérir de nouveaux territoires et la montgolfière de Cinq semaines en ballon emmène ses voyageurs dans des contrées lointaines. Toutefois, à Disneyland, la technique n’est pas utilisée pour conquérir de nouveaux territoires mais pour fabriquer un passé rêvé. Le thème de la frontière à franchir est présent dans l’ensemble du parc, entièrement fondé l’histoire de la conquête à travers les grandes découvertes du XIXè et XXè siècle (l’électricité, le far west, l’espace, les grandes explorations, l’imagination). C’est sous cet angle que le plan du parc se présente sur dans la rubrique du site internet commercial consacrée au parc Disneyland. Contrairement au parc californien où Tomorrowland81 se présente comme un laboratoire d’innovations techniques, le Discoveryland du parc parisien présente le futur comme il était rêvé au XIXè siècle à travers la littérature. Par conséquent, Disneyland Paris est moins l’expression d’un optimisme enthousiaste porté vers l’inconnu que celle d’une nostalgie éprouvée à l’égard des époques considérées comme les âges d’or de l’histoire occidentale. Deuxièmement, l’esthétique hyperréelle de Disneyland Paris contribue à déformer la pratique de la collection d’objets du passé exercée par les bourgeois du tournant du siècle dernier. Le goût des bourgeois pour les objets d’art ou leurs reproductions fidèles témoigne d’un désir de s’inscrire dans une lignée historique, avec comme volonté la construction d’un capital digne de l’aristocratie.

A Disneyland, des objets authentiques réunis par les concepteurs du parc en voyage à travers tous les Etats-Unis sont posés à côté de reproductions plus réelles que nature : sur Main Street USA, des plaques d’égout offertes par les villes de New York, Baltimore et Boston concurrencent d’authenticité avec les reproductions du drapeau américain ornées de quarante-huit étoiles et non de cinquante afin de respecter la vraisemblance historique du début su XXè siècle. Ces objets historiques sont dotés d’une nouvelle vie dans un contexte qui les rend plus réels en apparence que leur contexte d’origine. Les détails et les références historiques se mélangent sans qu’on puisse distinguer les deux. En effet, comme le souligne Laurence Graillot, « la condition à la simulation est la modulation de différences à partir de modèles »82. L’imaginaire et la réalité sont donc entièrement confondus. Ce que nous retenons de ces deux déformations de l’esprit bourgeois, c’est la disparition progressive des référents et la place grandissante de l’imagination dans l’appropriation des conceptions de la technique et de l’optimisme chez la bourgeoisie du début du siècle dernier. L’esprit bourgeois, comme l’a décrit Louis Marin dans Utopiques, est en fait transformé par Disneyland en un imaginaire utopique. La force de cette appropriation est telle que les parcs Disney se prennent aujourd’hui comme modèles les uns pour les autres, sans se référer à des réalités extérieures.

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L’opulence à Disneyland Paris

Première caractéristique : le hangar décoré

L’entrée de Disneyland Paris est une entrée de ville revisitée selon le style Disney, mais en s’inspirant de réalités culturelles présentes dans la société. L’architecture de Disneyland que nous qualifions d’opulente s’oppose aux entrées de villes des grandes capitales, envahies par la publicité sauvage et les zones commerciales. Les portes spectaculaires qui ont protégé nos grandes villes sont aujourd’hui absorbées par l’urbanisation et remplacées par « des boites recouvertes de bardage gris ou bleu, aux enseignes agressives » (Elisabeth Pelegrin-Genel, Des souris dans un labyrinthe, La Découverte, 2010, p.92)

Les observations effectuées sur le lieu permettent de penser que Disneyland Paris ne permet pas la formation de ces couches historiques successives et prend soin de faire de ses entrées des passages visant à l’éblouissement du visiteur. La gare SNCF, qui est venue modifier le parcours d’accès au complexe au milieu des années 1990, arbore elle aussi une architecture thématisée, la façade étant bordée de deux tourelles stylisées rappelant les tours futuristes du château de La Belle au Bois Dormant. Le péage du parking est quant à lui surmontée d’une enseigne imposante matérialisant l’entrée au royaume magique. Ces procédés renvoient à la notion de « hangar décoré » développé par Adrian Smith, Robert Venturi et Scott Brown dans leur livre L’Enseignement de Las 39 Vegas (Adrian Smith, Robert Venturi et Scott Brown , L’Enseignement de Las Vegas, Mardaga, réédition 2008 ). Le hangar décoré est un non-lieu dont l’enseigne qui l’orne sert à le spécifier et à le faire exister comme lieu. Toutefois, si les auteurs définissent comme hangars décorés les zones commerciales de nos entrées de villes, les hangars décorés de Disneyland Paris sont particuliers et apportent un supplément d’ambigüité. En effet, les structures de la construction du hangar (les cabines du péage, les piliers de la gare) ne sont pas dissociables des ornements car les structures fonctionnelles sont elles-mêmes les ornements. Adrian Smith, Robert Venturi et Scott Brown soulignent que c’est le même procédé qui a nourri la Renaissance maniériste : à cette époque, les chambranles des portes, indispensables à leur structure, sont aussi des décors, et les cadres soigneusement travaillé des peintures sont incrustés dans les murs porteurs.

Deuxième caractéristique : la discrétion des références

La deuxième caractéristique de l’architecture opulente de Disneyland Paris est la discrétion et la subtilité des références à la marque Disney. Cette caractéristique découle de la notion de « hangar décoré » en ce que l’ornementation indissociable des structures fonctionnelles élimine l’effet « carton-pâte » et permet une appropriation discrète des constructions par les valeurs de la marque Disney. L’Hôtel Disneyland en est une illustration probante. L’hôtel fait office de porte pour le parc Disneyland mais c’est moins la marque Disney que l’ambiance « disneyenne » qui est présente à travers des touches discrètes : le seul élément reconnaissable de la marque Disney est l’horloge dont le cadran contient un Mickey souriant. Les autres composantes de l’ambiance « disneyenne » sont des références discrètes, comme les courbes et les sculptures végétales des jardins devant l’hôtel qui rappellent l’esthétique de certains passages de Fantasia72. La conception de l’entrée du parc a pris partie en faveur de la matérialisation de caractéristiques de la marque (la sécurité, la convivialité), et rejette la saturation d’icônes Disney : « Les imagénieurs n’avaient conçu cette façade que comme un élément en deux dimensions, destiné à évoquer l’ambiance chaleureuse associée inconsciemment à un hôtel. Il s’agissait d’accueillir les visiteurs avec un symbole visuel fort et 40 rassurant. » (73 Eddie Sotto, directeur artistique du parc Disneyland, cité par Didier Ghez et Alain Littaye dans Disneyland Paris, de l’esquisse à la creation, Le Nouveau Millénaire, 2002, p.290 ), ou encore : « En ce qui concerne le Disneyland Hotel, notre plus grand souci était sa taille : il fallait éviter que Main Street ne soit écrasée par les proportions du bâtiment. […] La solution a consisté à inclure assez de détails pour donner l’impression que l’ensemble de l’hôtel est plus petit qu’il ne l’est en réalité »(Eddie Sotto, directeur artistique du parc Disneyland, citée par Didier Ghez et Alain Littaye dans Disneyland Paris, de l’esquisse à la creation, Le Nouveau Millénaire, 2002, p.291 ). Cette recherche de discrétion visuelle de la marque favorise l’expérience émotionnelle et de marque et projette des attributs associés à la marque Disney sans pourtant les affirmer comme tels. Ce procédé est problématique car, en diminuant la présence visuelle de marque, Disneyland Paris favorise dans son architecture d’autres références culturelles qui se voient transformées par le prisme Disney, notamment celles de la bourgeoisie du début du XXè siècle.

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Attraction Ratatouille à Disneyland Paris : pourquoi reconstituer Paris à Paris?

L’idée de cet article est née de l’ébullition actuelle sur les forums consacrés à Disneyland Paris au sujet de la construction dans le parc Walt Disney Studios d’un espace dédié à la reconstitution d’une rue parisienne typiquement haussmanienne, afin de recréer l’atmosphère du film Ratatouille co-signé par Pixar et Disney. Aucun fan observateur n’aura manqué les palissades encerclant le chantier et les nombreux indices étayant la thèse d’une telle attraction. Le débat sur la forme et la légitimité de cette attraction a déchaîné les passions sur le forum Disney Central Plaza, qui accumule à ce jour près de 200 pages de commentaires sur ce seul thème (toutes les citations de cet article en sont issues) !

Que peut bien motiver les passionnés de Disneyland Paris à échanger à ce point sur la construction d’une nouvelle attraction ?

1 – Les arguments les plus avancés sur le forum : entre scepticisme et enthousiasme

Premiers éléments de décors du futur espace dédié à Ratatouille dans le parc Walt Disney Studios.

Les internautes favorables à l’attraction sont des passionnés de Disney et de ses parcs d’attraction. La construction d’un nouvel espace est pour eux essentielle au renouvellement de l’offre de Disneyland Paris. Leurs préoccupations concernent davantage la forme que prendra l’attraction que ses portées urbanistiques ou culturelles. Le sujet importe peu tant que Disneyland Paris fait l’effort de satisfaire l’appétit de ses visiteurs fidèles avec des techniques innovantes et une expérience immersive intense. Leur argument est celui-ci : il était temps que Disneyland Paris fasse du neuf ! A l’appui, ces citations de quelques membres du forum :

– Festi’Val : « Si on considère que Ratatouille adoptera un système comparable à Winnie au Japon, alors le ride devrait être relativement tranquille, sans compter que l’attraction doit toucher un public très large, et que le guidage sans rail des véhicules, à mon avis, ne doit pas être prévu pour de trop grandes vitesses/accélérations« .

– Kaleoo – « L’arrivée du dark-ride Ratatouille est très positive. J’éspère que l’attraction sera dans une zone assez vaste et aménagée en conséquence afin d’éviter un Toon Studio bis…Pour moi, augmenter la superficie du parc est tout aussi important que d’augmenter son nombre d’attractions. Le but étant biensur de fluidifier la circulation et d’enfin pouvoir respirer dans ce parc! »

Les internautes sceptiques, qui ne sont pas contre l’attraction pour autant, émettent une certaine réserve quant à la légitimité de construire une façade de Paris haussmanien à 35 km de Paris. Ils craignent que les touristes venus de loin, attirés par Disneyland Paris pour ses formules « transport, parcs et hébergement » ne se donnent plus la peine de se déplacer jusqu’à Paris, puisqu’ils auront joui sur place d’un échantillon plus beau et propre que nature. Toutefois, seulement 5 occurrences sur ce thème ont été trouvées sur un total de 150 pages !

2 – Un faux Paris si près de Paris : absurde ?

Pour que les touristes ne se donnent en effet plus la peine de quitter leur hôtel de Disneyland Paris pour prendre le RER jusqu’à Paris, il faudra que Paris soigne bien peu l’expérience qu’il propose et se rapproche dangereusement d’un parc d’attraction. La crainte émise par certains internautes est la simple conséquence d’un Paris devenant une ville musée. Le constat n’est pas neuf : l’ethnologue Marc Augé en a écrit tout un article intitulé Une ville de rêve où il décrit le futur Paris comme une réplique de Disneyland.

On peut facilement concevoir la crainte de certains témoins sur Internet concernant cet affront fait à la capitale parisienne : Disneyland Paris propose le beurre et l’argent du beurre, un parc d’attraction et une capitale historique pour le même prix déplacement en RER. Cette crainte, nous le croyons, est sans fondement et est symptomatique du traitement réservé à Disneyland Paris depuis que la première pierre en a été posée. C’est un argument qui naît en effet de la méconnaissance des parcs à thème et de l’expérience qu’ils proposent.

3 – Et si ce nouvel espace consacré à Paris n’avait rien à voir avec Paris ?

Les projets officiels eux-mêmes font état d'un Paris sublimé, en adoptant un style impressionniste

Ratatouille ne concurrencera pas Paris car Disneyland Paris est dans une dynamique de déni de l’extérieur. L’attraction Ratatouille suivra l’exemple de l’Hôtel Disneyland et de son univers victorien re-contextualisé: une imagerie fantaisiste de dessin animé, références discrètes internes à Disney, expression d’un âge d’or sublimé et fantasmé.

Ce sont les fans de Disney s’exprimant sur le forum qui appuient sans le savoir cette thèse. Revenons donc sur les quelques constantes intéressantes qui caractérisent les échanges entre les fans :

– La comparaison avec les autres parcs Disney et concurrents

–  Un souci de réalisme vis-à-vis de la situation de Euro Disney SCA (sans aller jusqu’à l’expertise)

–  L’expérience vécue

–  Certains débats occultes qui fascinent, comme la relation entre Euro Disney SCA et The Walt Disney Company, les processus décisionnels au sein de la direction générale, etc.

Les préoccupations des fans sur la légitimité d’une attraction sur le thème de Ratatouille relèvent moins des enjeux qu’elle soulève dans le cercle fermé des parcs Disney que ceux liés à sa légitimité urbanistique, qui reste un sujet pour eux très anecdotique. Cela confirme que les parcs Disney constituent un espace fermé qui nie et absorbe l’espace extérieur sans le dénigrer. L’intérêt touristique de Paris n’a donc pas à craindre la voie que prend le développement de Disneyland Paris car le faux Paris de Disneyland Paris cherche davantage à défier la qualité des images du film Ratatouille que le paysage parisien lui-même.

Chez Disneyland Paris, autant dans la communication commerciale que parmi ses fans, l’extérieur n’est pas un référent pertinent de comparaison. Tout s’évalue et se critique toujours par rapport à d’autres produits de l’univers Disney dans le monde, comme le fait ce fan : « Je ne sais pas si fastpass il y aura mais la capacité de l’attraction normalement du même ordre que Buzz. Le système de ride est inspiré de Winnie à Tokyo qui lui a des fast pass, donc pourquoi pas…. » (DynastyGo), ou encore : « J’avoue que j’ai du mal à accrocher au thème de Ratatouille pour un dark ride. J’adore pourtant le dessin animé, qui est une merveille, mais est-il attractif pour une attraction ? A-t-il les scènes qui permettront d’en faire un ride fantastique ? Je m’interroge. Mais j’espère me tromper. Je reconnais aussi que je fais partie de ceux qui trouvent le DR Winnie de Tokyo quelque peu surévalué. Certes, il est plus sophistiqué que les petits DR de Fantasyland, mais c’est pas non plus de l’ampleur d’un Splash Mountain, d’un POTC ou d’un Indiana Jones Adventure » (Mr.Freddy).

Quand pourrait surgir l’argument urbanistique, il est aussitôt rattrapé par les références à l’univers Disney : « En plus faire une zone de Paris au Studio alors que le vrai Paris est juste à 30 min, je trouve ça juste aberrant ! Ce n’est pas quandmême « The » animation du siècle, c’est pas parce qu’il représente Paris qu’il faut la construire absolument ! Je trouve que tellement d’animation populaire mérite mieux leur place comme : le roi lion, le livre de la jungle, ariel, cendrillon, Belle, Pocahontas… » (Princess Pocahontas)

Si on en croit les fans de Disneyland Paris, la légitimité de Ratatouille est davantage l’objet de querelles internes dues au choix du thème de l’attraction inexistant dans tous les autres parcs de la marque, son emplacement qui risque de pénaliser le premier parc, son coût exorbitant, le manque de cohérence avec le reste du parc, etc. S’il s’agit d’un problème d’urbanisme, il reste circonscrit dans les limites de Disneyland Paris. Paris n’a pas à s’en faire !

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Midnight in Paris ou la nuit au musée

Une critique intéressante publiée dans le Monde (article Le Monde) a déjà souligné les principaux points faibles du nouveau film de Woody Allen, Midnight in Paris : une histoire vue et revue, une capitale française affaiblie par la vision américaine et les clichés des cartes postales. Mais aussi ses points forts: une atmosphere romantique plutòt agréable et un certain sens de l’inattendu. Le critique conclut que le film exprime la tendance de Woody Allen à se réfugier dans des images idylliques pour guérir ses plaies du passé, dues à ses origines sociales et religieuses. J’aimerais dans cet article mettre en perspective les problématiques urbanistiques soulevées en filigrane dans Midnight in Paris.

Paris revisité à travers ses representations

Le moyen le plus fiable de se rendre compte des intentions du film est peut-être de proceder à une brève analyse de son affiche. L’affiche prépare et guide la lecture d’un film et, comme la couverture d’un livre, permet parfois de représenter à l’extrême et le temps d’un regard ce que le film veut transmettre aux spectateurs.

Affiche du film Midnight in Paris

L’affiche de Midnight in Paris se se compose de prises de vue rélles montées avec des morceaux de paysages peints à la manière de Van Gogh. Le Paris tel qu’on peut le voir aujourd’hui est donc contaminé par les oeuvres qui ont eu comme objet la capitale française. Si Midnight in Paris est un portrait nostalgique de la ville, il semblerait donc que la nostalgie se définit donc comme la relation affective d’un individu ou d’un groupe contemporain avec les représentations d’un passé étant à sa disposition. Le passé nostalgique est donc un passé qui n’a jamais existé et qui se constitue tant bien que mal par les héritages et les sources que nous parvenons à en extraire : les peintures, les photographies, les descriptions littéraires, etc.

Cette définition de la nostalgie s’opposerait donc à une autre définition possible qui la rapprocherait du souvenir déformé. Dans le cas de Midnight in Paris, la nostalgie n’est en aucun cas un souvenir déformé par le temps mais une reconstitution d’une époque dont les seules traces restantes sont les discours ou les oeuvres qui ont pu remonter jusqu’à nous, ces discours et oeuvres étant déjà les fruits d’une interprétation artistique ou rhétorique.

La tyrannie des représentations

Midnight in Paris est donc une interprétation des oeuvres passées sur Paris à travers un ingénieux réseau inter-médiatique ou intertextuel : le cinéma du présent met en image et en mouvement la peinture et la littérature du passé. L’art ne s’inspire plus du réel mais des autres oeuvres d’art. La réalité historique comme référence est donc éliminée du scénario au profit des héritages qui sont en notre possession aujourd’hui. Ce film est un exemple supplémentaire de la disparition du passé dans la conception contemporaine de la culture. Le passé et le présent se mélangent ainsi au sein d’une immense bibliothèque synthétique remplie d’oeuvres et de discours dont on ne distingue plus les écarts temporels. Pour autant, dans cette bibliothèque, le passé et le présent ne coexistent pas : les représentations du passé sont bien plus fortes que le passé lui-même. A l’époque contemoraine, les rénovations de Viollet-le-Duc sont les exemples précurseurs de la force de ces représentations. Le Moyen-Âge était alors considéré comme un âge d’or plein de légendes et de magie, ce qui a donné naissance aux châteaux de contes de fées, comme le Pierrefonds rénové de Viollet-le-Duc.

De la même manière, nous construisons des lieux soi-disant respectueux du passé parce qu’ils seraient inspirés du passé : la rénovation du Petit Trianon a abouti à l’enlèvement des tapisseries de Louis-Philippe pour révéler les murs d’origine. Mais en quoi la pierre d’”origine”est davantage légitime ou historique que les tapisseries de Louis-Philippe?

Midnight in Paris en contexte : Paris est-il une ville morte?

Ce qui est à craindre, c’est que cette hégémonie des représentations du passé dans les conceptions urbanistiques futures ne conduisent nos villes à être des ville-musées ou des villes-façades parce qu’elles se seraient transformées en immenses témoignages intouchables et victimes de la tyrannie de l’authenticité.Y a-t-il des indices pouvant suggérer que Paris suit ce chemin?

Pour Marc Augé (L’impossible Voyages, Rivages, 1992), l’imaginaire d’une ville est lié à la rencontre des itinéraires individuels et collectifs, au mariage des habitudes de chacun. Pour cela, les lieux anciens de rencontre (les Universités, les bibliothèques, les opéras, même les musées) ont besoin d’être pratiqués par les populations pour ne pas être transformés en façades ou espaces intouchables et garder une utilité dans la pratique contemporaine de la ville. Un imaginaire naît de pratiques susceptibles de faire naître de nouveaux imaginaires, ce qui est propre aux villes-mémoire, qui conjuguent une histoire collective et des pratiques contemporaines hétérogènes, et aux villes-rencontres, qui tandis que la « ville-fiction », que Marc Augé qualifie de « morte », expose un imaginaire à partir d’un vivier d’images et d’histoires choisies.

Dans le chapitre « Une ville de rêve », il imagine également Paris en 2040, en se disant que Disney serait la firme chargée de la rénovation et de l’animation de la ville, appelée désormais Paris Quatre Saisons. Le Marais comme partie thématique s’appelle « Disney Belle Epoque », Montmartre est renommé « Disney Beaux Arts ». Disneyland Paris est une scène de spectacle comparable au Paris 2040 décrit par Marc Augé.

D’un côté, Paris peut sembler s’apparenter à une ville-morte selon la définition de Marc Augé. Souvenons-nous de certains accidents, comme le pavillon français de l’exposition universelle de Shangaï en 2010. N’y était à l’honneur que l’obscurantisme du snobisme parisien à travers une série de panneaux sans commentaires ni explications. Je renvoie le lecteur à un article consacré au sujet sur un autre blog (article exposition universelle de Shangaï) . Le pavillon français ne faisait allusion ni aux nouvelles technologies ni à la vie des Français. L’exposition” Paris au temps des impressionnistes” à l’Hôtel de Ville de Paris sacralise davantage les travaux haussmaniens que l’avant-garde impressionniste. On ressent dans cette exposition la nostalgie de cette époque efervescente de bâtisseurs et de transformations qui constituerait pour Paris un âge d’or indépassable et inimitable.

D’un autre côté, des projets à venir promeuvent le renouveau des pratiques de lieux anciens afin d’éviter leur muséification. Le projet d’un pavillon Louis Vuitton conçu par Franck Gehry, malgré les mouvements qui s’ y opposent, serait une opportunité d’enrichir l’identité du Bois de Boulogne tant marquée par Haussmann (pdf de présentation du pavillon de Frank Gehry). Le quartier Samaritaine est également sur le point de revêtir une nouvelle peau grâce à la collaboration de LVMH et la mairie de Paris (communiqué de presse LVMH). Quant aux esquisses de Paris 2020, qu’on a pu croiser au détour des allées du parc de Bercy ou lors de l’exposition La Ville fertile à Paris (page officielle de l’exposition), ont mis à l’honneur les possibilités de mariage entre les immeubles haussmaniens et les nouveaux besoins en espaces verts , notamment par le recours au rehaussement des édifices et la création de terrasses végétalisées sur les toits et de passerelles ombragées. Pour reprendre les termes de Françoise Choay dans L’Allégorie du patrimoine (Seuil), ces projets pourraient être des indicateurs positifs de notre “compétence d’édifier”. Ils expriment une mobilisation inteligente du passé, et non son immobilisation, qui serait le symptôme d’une peur contemporaine d’une vide (résumé du livre).

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