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La question du corps dans les « Pensées » de Pascal

Le corps est un des trois ordres : « le charnel, l’esprit, la volonté » (fragment 761). Le corps est donc pris dans une trinité qui en fait une composante de l’homme. Pascal s’inscrit dans la tradition antique qui divisait l’être en trois pôles, comme Platon qui distinguait le ventre, l’esprit et le cœur. Cette composante n’est pas qu’organique, elle sert aussi chez Pascal d’outil rhétorique et analogique pour exprimer et clarifier des vérités plus profondes. Pascal dit par exemple que « le bras gauche n’est pas le droit » dans le fragment 794 pour dire que tout changement du corps a un impact sur lui. Le corps est aussi associé à des visions d’horreur visée à faire peur aux libertins, destinataires Pensées. Le corps est en effet synonyme et outils des concupiscences dans lequel l’homme s’engouffre dans l’acte du divertissement. Le corps n’est aussi perçu que comme un réceptacle de l’âme. Dans le même fragment 794, Pascal écrit que « mon âme unie à quelque matière que ce soit fera mon corps. » Tout corps fera l’affaire pour accueillir l’âme. Le corps est donc rabaissé à son caractère d’automate.

Cette vision pessmiste ne s’arrête pas là. La question du corps chez Pascal n’est pas dissociable de la mort pour trois raisons. D’abord, Pascal est un homme qui souffre de la maladie. Sa vision du corps est donc liée à celle de la finitude corporelle. Le corps est aussi compris dans son acception anthropologique : pourquoi n’accepte-t-on pas la mort ? Comment nous en détournons-nous ? Le corps sert la mise en scène de l’homme dans son quotidien. Elle n’est pas non plus dissociable de la mort dans son sens apologétique : comment combattre la mort dans Dieu ? La dualité de corps et d’âme dont est constitué l’homme lui prive de la connaissance du grand tout et de toutes ses parties. Le corps « rabaisse » l’homme vers la terre (fragment 230) tandis que son esprit tend à l’infini. L’homme est un boiteux originel. Si Baudelaire aimait Pascal, c’est pour ce motif de la chute. Tout homme est comme l’albatros, « veule et gauche » sur la terre et pourtant poussé vers un azur infini qu’il cherche à atteindre. Quel espoir placer donc dans le corps ? La pratique de l’eucharistie laisse penser que la matière peut faire revivre le corps du Christ. L’espoir de la transsubstantiation laisse planer l’espoir d’un corps mystique, infini et immortel.

D’un point de vue anthropologique, le corps est le signe de la misère fondamentale de l’homme. Il fonde l’antagonisme de son être. D’un point de vue moraliste, le corps est associé à la peinture des passions destructrices de l’homme dont Pascal veut détourner les libertins. Le corps est le miroir du leurre humain. Enfin, le corps peut être un objet de salut d’un point de vue sacré.

I – Le corps signe de la misère humaine

  1. Le corps comme rappel de notre condition

a) Le corps est relégué au statut d’enveloppe.

Le corps est incapable de penser. Pascal écrit dans le fragment 339 : « le corps ne connaît rien, contrairement à l’esprit ». Dans le fragment 143, il précise : « Je puis bien concevoir un homme sans mains, pieds, tête, car ce n’est que l’expérience qui nous apprend que la tête est plus nécessaire que les pieds. Mais je ne puis concevoir l’homme sans pensée. Ce serait une pierre ou une brute ». C’est bien l’esprit qui fait de l’homme un homme. Pascal se met lui-même en scène. Il peut, en tant qu’homme, concevoir un homme sans corps. Dans l’acte même d’écrire, Pascal se représente en tant que matière pensante. C’est l’immatérialité de l’homme qui le hisse au rang d’homme.

b) La chute de l’homme

Le corps est donc minime dans l’identité humaine. L’esprit peut habiter n’importe quel corps. Le corps, lui, est associé à la chute de l’homme dans la Genèse. Dieu punit Adam et Eve en leur faisant prendre conscience de leur corps. Alors, Adam et Eve dissimulent leurs organes procréateurs avec des feuilles de vigne. Le corps est là pour « nous faire souvenir d’où nous sommes tombés »(fr.20). Le corps est le signe de la misère humaine et du péché originel.

c) La fonction mémorielle

Cette misère humaine est visible dans les combats que l’homme entretient entre sa fonction raisonnante et les passions corporelles. L’homme pascalien est incapable d’atteindre une autre condition que celle de l’excès et de la démesure motivée par l’orgueil. L’homme est donc tiraillé entre deux excès : « Les uns ont voulu renoncer aux passions et devenir dieux, les autres ont voulu renoncer à la raison et devenir bêtes brutes » (fr.29). Renoncer aux passions terrestres est un acte prométhéen de pur orgueil et renoncer à la raison est un acte de rabaissement qui conduit au statut de bête régie par les concupiscences. L’homme est donc incapable de renoncer à son enveloppe corporelle qui lui rappelle qu’il n’est pas dieu mais homme. Le corps a donc une fonction mémorielle, comme un boulet qu’on traîne pour nous rappeler qu’on ne peut s’élever trop haut sans se brûler les ailes.

  1. La finitude : faire peur aux libertins

a) Images macabres : l’anéantissement du corps

Pascal s’adresse aux libertins et tente de les convaincre de se disposer à croire en Dieu. Il enchaîne les images macabres qui rappellent aux athées la finitude du corps et la menace omniprésente de la mort. Un homme passe de l’existence au néant en trépassant. Dans le cours fragment 197, Pascal met en scène un enterrement: : « On jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais ». L’adverbe résomptif « voilà » résume en deux syllabes toute l’existence réduite à néant en un jet de pelletée de terre. Pascal affirme la fragilité de l’existence en renversant les ordres habituels. Il parle notamment de la puissance des mouches dans le fragment 56 : « elles gagnent des batailles, empêchent notre âme d’agir, mangent notre corps ». Le corps humain n’est rien comparé aux petits volatiles que sont les mouches. Pascal opère un inversement de valeurs : le corps qu’on peut toucher n’est en fait pas grand chose, et la croyance en Dieu, intangible, est au contraire le seul lien qu’on peut établir avec l’éternité.

b) Outil rhétorique

Le corps est aussi un outil rhétorique. Il permet de construire des images concrètes que le libertin comprendra aisément. Dans le fragment 486, Pascal traite de la beauté poétique et compare un discours surchargé à une « damoiselle remplie de miroirs et de chaînes ». Il exprime ainsi le rôle de la poésie qui est dire des « petites choses » avec de « grands mots ». Le corps devient un objet oratoire pour le moraliste. Le corps est aussi utilisé d’un point de vue positif pour démontrer que l’homme souffre de n’être jamais sûr de bien raisonner : on est sûr d’avoir mal à la tête et d’être boiteux, dit Pascal, mais nous ne sommes jamais assurés de bien penser (fragment 132). Une fois n’est pas coutume, le corps est source de certitude !

c) Incertitude

Le corps est rempli d’une indécidabilité aussi grande que celle de l’âme. Ainsi, le matérialisme des libertins est remis en cause par Pascal qui entreprend de miner toutes leurs certitudes. La science ne semble n’avoir rien découvert. Dans le fragment 587, Pascal affirme que « nous nous connaissons si peu que plusieurs pensent aller mourir quand ils se portent bien, et plusieurs pensent se porter bien quand ils sont proches de mourir, ne sentant pas la fièvre prochaine, ou l’abcès prêt à se former ». Cette affirmation sous la forme d’un paradoxe avertit le libertin que la mort ne préviendra pas et qu’il a intérêt à se tourner vers la foi qui est seule capable de lui fournir l’éternité. Dans le fragment 681, Pascal est encore plus pessimiste et adopte le discours des athées, perdu dans l’univers sans repères ni repaires : « Je ne sais ce que c’est que mon corps, que mes sens, que mon âme et cette partie même de moi qui pense ce que je dis, qui fait réflexion sur tout et sur elle-même et ne se connaît plus que le reste. Je vois ces effroyables espaces de l’univers qui m’enferment, et je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue, sans que je sache pourquoi je suis placé en ce lieu qu’en un autre, ni pourquoi ce peu de temps qui m’est donné à vivre m’est assigné à ce point plutôt qu’en un autre de toute l’éternité qui m’a précédé et de toute celle qui me suit ». Pascal parle ici en adoptant la posture des libertins face à leur propres limites. Pascal, par ce procédé, essaie de persuader le libertin que le corps n’a pas plus de certitude que l’âme et qu’il est plongé dans un infini de néant.

  1. Disproportion de l’homme

a) Un être inclassable

Dans le fragment 230, Pascal décrit le caractère disproportionné de l’homme qui participe à sa misère : l’homme est « un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant ». Cette antithèse est frappante car elle affirme que l’homme est tiraillé entre deux extrêmes, il est à la fois néant et tout en fonction de l’échelle avec laquelle on l’envisage. Pascal fait réfléchir le lecteur en l’effrayant, il affirme sa bassesse en même temps que sa grandeur. Cette contradiction fondamentale se retrouve dans un autre fragment où ¨Pascal conclut que l’homme ne peut être l’objet d’aucune affirmation simpliste : « S’il se flatte, je l’abaisse. S’il s’abaisse, je le flatte et le contredis toujours jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il est un monstre incompréhensible ». « Tout », « néant », « monstre », l’homme est un animal inclassable et insondable : « il n’y a point de vérité dans l’homme », peut-on lire au début du fragment 230. Notre corps est donc jeté dans un océan d’incertitude.

b) Des sens trompés

Si l’homme ne peut se sonder, c’est aussi parce qu’il est trompé par ses sens qui subissent un trop grand nombre de sollicitations : «notre intelligence tient dans l’ordre des choses intelligibles le même rang que notre corps dans l’étendue de la nature ». Ce parallélisme se sert de l’exemple du corps qui bien peu de choses dans la nature pour expliquer que l’intelligence peut elle aussi atteindre une masse infinitésimale de connaissances sur la nature. Le corps est jeté dans la nature. Les sens sont faibles : il subissent un « trop » et «n’aperçoivent rien d’extrême ». Enfin, « notre raison est toujours déçue par l’inconstance des apparences ». Les sens et la raison se contredisent et n’apportent aucune satisfaction à l’homme qui ne peut que constater sa misère.

c) Le corps soumis aux mouvements de l’âme

La disproportion de l’homme n’est pas dissociable de la relation entre l’âme et le corps. L’âme dirige le corps : « L’âme ne s’offre simple à aucun sujet, de là vient qu’on rit et pleure d’une même chose », écrit Pascal. Le corps est soumis aux mouvements de l’âme et n’offre donc aucune base de réflexion ou de certitude. Rien n’est simple, dit Pascal. Le corps ne peut apporter aucune vérité tant il est torturé par les affres et les bouleversements de l’âme. Voilà encore un argument susceptible d’effrayer les libertins qui vantent les progrès dans la connaissance du corps.

Le corps nous rappelle notre condition misérable et ne peut nous offrir aucune connaissance stable. Les fragments que nous avons étudiés dans cette première partie de la réflexion nous indiquent clairement que Pascal vise à faire peur aux libertins qui croient au corps et à la raison, deux fonctions humaines que Pascal démonte à loisir. Pascal réfléchit sur le corps en réfléchissant à la place de l’homme dans l’univers. Nous avons vu que les sens pouvaient être trompés et submergés. Cette donnée n’est pas sans conséquence sociale et morale. Quel rôle joue le corps dans le système moral et dans la société que Pascal décrit ? Notre auteur n’est pas seulement anthropologue, il est aussi moraliste.

II – Le corps miroir du leurre humain : la peinture des passions

  1. La fuite dans le corps

a) Raison et passions

L’homme a une propension naturelle à se réfugier dans les activités charnelles tout en voulant agir avec la raison. Il existe selon Pascal une « guerre intestine de l’homme entre la raison et les passions » (fragment 514). Il continue par ce syllogisme :.

« S’il n’y avait que la raison sans les passions.

S’il n’y avait que les passions sans la raison.

Mais ayant l’un et l’autre, il ne peut être sans guerre., ne pouvant avoir paix avec l’un qu’ayant guerre avec l’autre.

Ainsi il est toujours divisé et contraire à lui-même »

L’homme repose donc sur une contradiction inextricable. Pascal s’inspire en cela des tragédies de son siècle, mettant en scène des personnages nobles tiraillés entre le devoir de raison et la tentation des passions. Racine, proche également du jansénisme ne fait pas autre chose dans Phèdre, à la différence qu’on peut faire valoir le mérité à Pascal de rendre compte ce combat intérieur en une formule syllogistique.

b) Le divertissement

Les activités humaines sont pour Pascal caractérisées par le fuite vers le divertissement. « Le plus grand malheur des hommes est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre », écrit-il. Le corps est un élément essentiel du divertissement car il consiste à déplacer vers le corps ce qu’on ne veut traiter par l’esprit. Dans le fragment 169, il parle de l’acte de « remplir toute sa pensée du soin de bien danser ».

c) Le refus de se résigner

Le corps est une chose imprévisible dans lequel l’homme se plonge pour mieux se tromper et se rabaisser. Pascal parle de la « bassesse de l’homme jusqu’à se soumettre aux bêtes » (fr.86). Il dit aussi que « la fièvre a ses frissons et ses ardeurs » dans une antithèse qui fait de l’homme un être soumis aux turbulences de son corps. Comment ne pas voir ici le regret de Pascal de se constater malade, soumis à ses propres fièvres ? Son refus de se résigner à être bête par le rabaissement de son être à un simple corps se fait sentir. C’est dans la même optique de refus de se résigner que Pascal nous parle des Juifs en déplorant que ce peuple charnel soit aux antipodes de la Loi de Dieu qui a pris le peuple juif comme contre-exemple que Dieu a choisi pour dispenser sa parole.

  1. Le leurre des apparences

a)L’imagination trompeuse

Pascal se pose en moraliste en rejetant les affres du corps. Le fraglent 78 sur l’imagination traite des dérives liées au corps et du leurre des apparences. La voix enrouée du magistrat mal rasé ne laissera pas de faire chuter son crédit auprès du public : « je parie la perte de la gravité de notre orateur ». Pascal énumère tout l’équipage des juges : « leurs robes rouges, leurs hermines dont ils s’emmaillottent en chats fourrés, les palais où ils jugent, leurs fleurs de lys ». Le corps est un simulacre qui permet de faire passer « les sciences imaginaires » en « respect ». Il finit par conclure : « les passions de l’âme trompent les sens ».

b) Les apparences maîtresse de l’histoire

Le leurre des apparences opère si bien qu’il est capable de changer la face de l’histoire. Le fragment 228 contient la célèbre anacoluthe sur le nez de Cléopâtre : « Le nez de Cléopatre, s’il eût été plus court, la face de la terre aurait changé ». Les grands de ce monde sont donc eux-mêmes touchés par le leurre des apparences et des passions qui les détournent d’un véritable destin. Pascal relie ici l’attirance corporelle à la vanité des hommes.

c) Le règne des qualités : le moi indéfinissable

Pascal porte une attention particulière à la peinture du regard social et des jugements qui en découlent. Cette théâtralisation du quotidien le perd à un tel point qu’il se demande dans le fragment 567 : « Qu’est-ce que le moi ? ». Pascal se demande ensuite si on peut se définir par le regard des autres et est en soi extrêmement proche des théories ethnologiques contemporaines, comme celles de Gaufmann :

« Mais celui qui aime quelqu’un à cause de sa beauté, l’aime-t-il ? Non, car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu’il ne l’aimera plus. Et si on m’aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m’aime-t-on, moi ? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi. Où est donc ce moi, s’il n’est ni dans le corps, ni dans l’âme ? Et comment aimer le corps ou l’âme sinon pour ses qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu’elles sont périssables ? Car aimerait-on la substance de l’âme d’une personne abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut et serait injuste. On n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualités. ».

Le moi est donc introuvable, il est impossible d’aimer autre chose que des qualités temporaires, qu’elles soient rattachées au corps ou à l’âme. Dans tous les cas, le corps est encore associé au motif du dépérissement (la vérole) et du temporaire.

  1. N’aimer que Dieu

Afin de vaincre l’empire du corps, Pascal invite à croire en Dieu. Dans le fragment 339, il précise que les grands génies et les saints n’ont nul besoin des « grandeurs charnelles » et que « Dieu leur suffit ». Plutôt que la nature charnelle de l’homme, Pascal invite à la charité qui, elle, surnaturelle. Pascal renie aussi l’attachement fait au personnes. Dans le fragment 15, il écrit : « ils ne doivent pas s’attacher à moi, car il faut qu’ils passent leur vie et leurs soins à plaire à Dieu ou à le chercher ». Chercher à éviter les affres du corps par la religion est le moyen pour Pascal de pallier l’insuffisance de la raison et des passions. Que devient alors le corps une fois que nous avons été conquis par la religion ? Peut-on lire dans les Pensées l’espoir d’un corps sacré ?

III – L’espoir d’un corps sacré

  1. Le corps invisible de Jesus Christ

a) Le corps caché

Le corps du Christ n’est pas visible mais il connaît la transsubstantiation. Pascal précise que l’ostie n’est pas tout le corps du Christ mais que toute ostie est corps du christ. Jésus Christ ne s’est pas manifesté de manière visible aux hommes, ce qui interroge Pascal : « Pourquoi Jesus Christ n’est-il pas venu d’une manière visible au lieu de tirer sa preuve des prophéties précédentes ? » (fr.8). La croyance aux Christ aurait été plus évidente avec un corps tangible. « Que Dieu s’est voulu cacher, ajoute Pascal au fragment 275. C’est l’argument que Pascal apporte contre les libertins qui affirment ne pas voir Dieu par les sens.

b) Homme et Dieu

Jésus Christ établit le lien avec le ciel sur terre. Il est « vision de gloire et d’humilité ». De plus, il est un Messie triomphant de la mort par sa mort » ( fragment 273). Jésus Christ est l’exemple à suivre par tous les hommes, lui qui vécut sur la terre tout en étant lié au ciel par l’ampleur de sa mission messianique.: ainsi, Jésus Christ a une « âme parfaitement héroïque » (fragment 347) capable de crainte et de force. Jésus Christ réconcilie les hommes avec eux-mêmes et avec le ciel.

c) Jesus Christ et l’homme ne font qu’un

Si Jésus Christ tisse un lien entre les hommes et le ciel, les hommes ont un lien étroit avec le corps de Jésus Christ. Dans le fragment 404, on peut lire : « On s’aime parce qu’on est membre de Jésus Christ. On aime Jésus Christ parce qu’il est le corps dont on est membre. Tout est un. L’un est dans l’autre ». La pratique de la transsubstantiation permet aux chrétiens de goûter au ciel et redécouvrir la foi en soi. Il est rare que Pascal nous parle de bonheur dans les courants ténébreux des Pensées mais il se trouve ici un espoir de salut à travers la vénération du corps sacré du Christ.

  1. La dualité de l’homme

a) La nécessité de l’éternité

Nous avons vu que Pascal place un espoir important de salut dans la relation que l’homme peut entretenir avec Jésus Christ. Pascal insiste aussi beaucoup sur la dualité de l’homme, être parfait déchu depuis l’épisode du péché originel. Il nous est possible de goûter à l’éternité qu’Adam et Eve ont eu la chance de toucher du doigt tout en assumant notre statut déchu. Pascal ne peut se résoudre à dire que le monde n’est que terrestre. Dans le fragment 167, il écrit :  « je sens bien qu’il y a dans la nature un être éternel et infini »

140 : « Qu’est-ce qui sent du plaisir en nous ? Est-ce la main, est-ce le bras, est-ce la chair, est-ce le sang ? On verra qu’il faut que ce soit quelque chose d’immatériel »

b) Une identité duale

L’homme peut aspirer au salut par sa nature duale, à la fois grand par son lien originel avec le paradis et la bassesse de son corps sur la terre. Le fragment 154 explique cette idée : « il ne faut pas que l’homme croie qu’il est égal aux bêtes ni aux anges, ni qu’il ignore l’un et l’autre, mais qu’il sache l’un et l’autre ». L’homme est corporellement fragile mais il a la force de pouvoir penser et sa pensée peut lui permettre d’atteindre Dieu, comme le précise le discours de la machine qui tend à disposer l’esprit des libertins à la quête de Dieu. Il est possible de s’extraire de la déchéance perpétuelle en se tournant vers Dieu. Cette force pensante de l’homme est exprimée dans le fragment 231 à travers la métaphore du roseau : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant ».

b) Un mélange incompréhensible

Fait de grandeur et de bassesse, l’homme finit par être incompréhensible mais, dit Pascal dans le fragment 182, « tout ce qui est incompréhensible ne laisse pas d’être ». Ce n’est pas parce qu’on ne comprend pas comment l’homme est à la fois corps et âme qu’il n’existe pas sous cette forme.

L’espoir de la connaissance se fait sentir dans le fragment 230 : « si nous sommes simples, matériels, nous ne pouvons rien connaître ». La connaissance n’est que biaisée par notre tendance à métaphoriser le discours:on parle spirituellement des corps et corporellement de l’esprit. L’homme trouve sa supériorité par sa connaissance de la mort : Pascal nous invite donc à penser correctement pour nous sortir de notre condition incompréhensible : « travaillons donc à bien penser ».

  1. Salut dans le repos

a) Le drame du divertissement

Dans le fragment « Divertissement », Pascal précise que « tout le malheur du monde vent d’une seule chose qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre ». On imagine donc que le salut ne peut avoir lieu si nous passons notre temps à fuir la réflexion, et notamment la réflexion sur la mort, le repos nous apprenant à mourir, comme le dit Montaigne. Cela permet à Pascal d’affirmer au fragment182 : « Ne cherchez point de satisfaction dans la terre, n ‘espérez rien des hommes ». Il est extrêmement sévère envers les plaisirs terrestres puisque les concupiscences « seront le partage des animaux ». Pour accentuer sa facette de grandeur, l’homme a tout intérêt à trouver le repos dans ce qu’il sait faire de mieux : penser.

b) Le sacrifice du membre pour le corps

Pascal invite l’homme à sacrifier son corps pour trouver le salut. Etant membre de Jésus Christ, l’homme doit se sacrifier au corps de Jésus Christ pour le faire vivre. Dans le fragment 405, il écrit qu’ « il faut que tout membre veuille bien périr pour le corps, qui est le seul pour qui tout est » Cette analogie avec les membres du corps indique qu’il faut se sacrifier au corps tout entier du Christ car il nous a insuflé la vie.

c) Un marché attrayant

Dans le fragment 751, Pascal use de la prosoppopée pour donner la parole à Dieu et signifier que la mort du corps peut apporter le salut : « Les médecins ne te guériront pas, car tu mourras à la fin, mais c’est moi qui te guéris et rends le corps immortel ». Les sciences terrestres ne guérissent pas la maladie originelle de l’homme mais la sensibilité à la religion peut apporter la paix éternelle. Pascal propose aux libertins un marché auquel ils ont tout intérêt à souscrire rationnellement. La mort ne peut être évitée, mais le salut peut être gagné.

Le traitement de la question du corps chez Pascal a entraîné au cours de notre étude des considérations anthropologiques, sociales et religieuses. Concluons cet exposé par cette interrogation rhétorique : « Qui ne croirait, à nous voir composer toutes choses d’esprit et de corps, que ce mélange-là nous serait bien incompréhensible ? ». La dualité de l’homme est centrale pour Pascal : elle nous fait voir que tout espoir n’est pas perdu, que, malgré le péril insufflé par notre corps, le salut éternel peut être obtenu, et la mort vaincue par la mort elle-même après une vie de repos dénuée de la fuite vers le divertissement. Le corps est, certes, le signe de la misère humaine. Il est, certes, le miroir des passions destructrices des hommes quelle que soit leur classe sociale. Mais il est aussi susceptible d’être sacré par un salut gagné par la foi et la quête de Dieu. En devenant membre de Jésus Christ, nous assurons notre éternité. Telle est la parole optimiste de l’apologie pascalienne.

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Commentaire du fragment « imagination » des Pensées de Pascal

Le fragment « imagination » (fragment 78) présente un intérêt philosophique majeur : l’imagination est-elle une force créatrice ou une des origines de la misère de l’homme ? Pascal a choisi son parti et exploite tous les ressorts possibles du traitement de l’imagination : psychologie, société, anthropologie. L’imagination préside à toutes les facultés de l’homme et le soumet au règne des apparences. Pascal a recours à toutes les ressources de l’art de convaincre et de persuader. Il est capable de concilier à la fois le langage logique de la conviction à celui, persuasif, de la démesure afin de démontrer la folie totale à laquelle mène l’imagination. Pascal reconstruit le monde entier à travers le prisme de l’imagination, ce qui est un tour de force rhétorique. Son fragment est donc plus incisif que l’architexte de Montaigne. Se révèle, dans cette analyse de l’imagination comme facteur de la misère humaine, un auteur aux multiples visages : un mathématicien soucieux de logique, un moraliste pessimiste et un anthropologue observateur.

I – Une démonstration logique

  1. La géométrie du parallélisme

Pascal disserte sur l’imagination en usant de parallélismes qui confèrent à son discours une valeur mathématique en même temps qu’il renverse les ordres habituels. La raison se voit rattachée au malheur alors que l’imagination est, quant à elle, source de bonheur : « Elle ne peut rendre sage les fous, mais elle les rend heureux, à l’envi de la raison qui ne peut rendre ses amis que misérables ». Pascal conclut sa phrase par un parallélisme : « l’une le couvrant de gloire, l’autre de honte ». L’imagination procure ainsi la satisfaction et la renommée tandis que la raison n’apporte que la misère. Pascal s’oppose ainsi à tout humanisme qui ferait penser que l’homme peut atteindre le bonheur par la raison, et se hisse ainsi en janséniste contre le christianisme moderne qui estime que la mesure permet d’atteindre la grâce. Pascal tend à prouver mathématiquement que l’homme est san mesure.

  1. De l’individu à toute la société

Pascal joue sur les échelles de grandeur pour amplifier la valeur logique de son propos. Il analyse d’abord l’imagination sous l’angle de l’individu en tant que « seconde nature ». Par l’emploi de la forme emphatique dans la phrase « C’est parmi eux [les plus sages] que l’imagination a le grand droit de persuader les hommes », Pascal insiste sur le paradoxe de l’imagination qui préside à la pensée des gens apparemment les plus raisonnables. Il emploie un tour rhtétorique pour faire accepter le plus inacceptable. L’habitude que nous avons d’associer l’imagination à la folie est une erreur. Puis, Pascal amplifie sa réflexion pour évaluer l’impact de l’imagination sur toute la société, en montrant que l’imagination est à l’origine de l’ordre social. Pascal doit avouer qu’il ne peut faire l’inventaire de toutes les puissances de l’imagination : « Je ne veux pas rapporter tous ses effets ». En hissant l’imagination au sommet de toutes les pensées humaines, Pascal reconstruit le monde dans sa totalité.

  1. La clairvoyance des puissants

Pascal confère aux puissants de notre monde un statut particulier. Les rois, les magistrats et les médecins sont conscients du pouvoir de l’imagination : « Nos magistrats ont bien connu ce mystère », écrit-il. Pascal utilise un langage satirique teinté de logique pour asseoir son opinion négative : « si les médecins avaient le vrai art de guérir, ils n’auraient que faire de bonnets carrés ». L’emploi du système conditionnel oppose la vérité inexistant dans le monde réel à l’apparence régissant la réalité : le « vrai art » inexistant est opposé aux « bonnets carrés » de la réalité. Pascal conlut en parlant de la médecine et de la justice sous l’appellation de « sciences imaginaires ». Pascal utilise des moyens syntaxiques logiques au service de la preuve de l’illogisme.

Pascal présente à ses lecteurs un exposé logique qui multiplie les angles d’approche. Il révèle ici ses qualités de géomètre capable d’étudier le monde sous différentes échelles. Ce qui rend original son discours, c’est sa manière d’analyser un fait humain avec une démarche scientifique. C’est ce qui fait de Pascal non seulement un géomètre de la nature humaine, c’est-à-dire un moraliste.

II – L’art du moraliste

  1. Le dialogisme

Pascal instaure un dialogue avec son destinataire libertin pour le faire adhérer à son discours sans lui laisser le moindre choix. Cette démarche est moraliste car elle est un acte de persuasion. Il use donc à l’envi de questions oratoires et d’apostrophes. D’un point de vue stylistique, le rythme de ces questions oratoires peut être mineur pour créer un effet de surprise percutant : la question commence par une énumération : « Qui dispense la réputation, qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux lois, aux grands » et se termine par une révélation suprenante : « sinon cette faculté imaginante ? ». Une autre manière de dialoguer avec son destinataire est de le pousser dans ses retranchements erronés pour lui faire comprendre qu’il se trompe. Pascal utilise alors un rythme majeur pour amplifier progressivement son discours et lui donner un ton ironique par un style accumulatif : « Ne diriez-vous pas que ce magistrat dont la vieillesse vénérable impose le respect à tout un peuple se gouverne par une raison pure et sublime, et qu’il juge des choses dans leur nature sans s’arrêter à ces vaines circonstances qui ne blessent que l’imagination des faibles ? ». Le moraliste révèle par une question interro-négative l’erreur qui était pour le lecteur une évidence et une vérité.

  1. Un discours hyperbolique sans demi-mesure

En plus de faire adhérer à son propos son lecteur par le poids du style, Pascal affirme que l’imagination est à l’origine de tout dans un discours hyperbolique. Il décrit une société qui ne connaît que les excès, comme, dans une fable, les personnages ne sont réduits qu’à un trait de caractère. L’imagination devient un personnage repoussant qui est l’allégorie de la société toute entière. Pascal traite l’imagination avec un certain dédain. Au tout début du fragment, il utilise le démonstratif de distance et une redondance éloquente : « c’est cette partie dominante dans l’homme, cette maîtresse d’erreur et de fausseté ». Pascal brosse un portrait vivant et anthropomorphique de l’imagination et la campe devant son lecteur comme un mal absolu et omniprésent.

  1. Des métaphores frappantes

Dans la même veine moraliste, Pascal utilise des métaphores frappantes. Il décrit la raison comme une plante souple : « plaisante raison qu’un vent manie et à tout sens ». On pense alors à un autre fragment célèbre des Pensées où Pascal décrit l’homme comme un « roseau pensant ». La métaphore fragilise ici la faculté vue comme la plus puissante par les humanistes. L’imagination est aussi à l’origine de nombreuses « secousses » en l’homme. Par cette métaphore, Pascal fait de l’imagination une force agissante et vivante, ce qui s’assimile à une démarche de fabuliste et de moraliste.

Pascal s’inscrit dans une veine moraliste en s’adressant à un destinataire qu’il rend présent en s’y adressant directement, en tenant des propos sans demi-mesure et en utilisant des métaphores frappantes. Comment ne pas penser aux fables de La Fontaine ? Pascal se fait n’est pas qu’axiologue, il écrit aussi un apologue en dramatisant son exposé sur l’imagination. De la morale il fait un récit qui rend vivant son étude anthropologique.

III – La dramatisation de la vie de l’esprit

  1. La tonalité épique

En opposant la raison à l’imagination, Pascal produit un ton épique qui fait de ces deux facultés des entités vivantes qui combattent l’une contre l’autre. L’imagination sort triomphante de cette guerre mise en scène. L’imagination est personnifiée en étant qualifiant de « fourbe » et « ennemie de la raison ». Quant à a raison, elle est montrée en victime impuissante : « la raison a beau crier ».. En rendant vivantes les facultés de l’esprit, Pascal fait de l’esprit un champ de bataille où règne un combat interne sans merci qui plonge l’homme dans l’incertitude : « l’affection et la haine changent la justice de face »

  1. Réalisme des scènes

Pascal dramatise son argumentation en portant un soin particulier à camper des scènes vivantes, par exemple en énumérant une suite d’objets concrets qui simulent la force des magistrats : « leurs robes rouges, leurs hermines dont ils s’emmaillotent en chats fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lys ». Concernant la fausseté de la justice, il parle en exclamations qui marquent son étonnement, sa colère et l’absurdité de la situation  : « combien un avocat bien payé par avance trouve-t-il plus juste la cause qu’il plaide ! Combien son geste hardi la fait-il paraître meilleure aux juges dupés par cette apparence ! ». Par un rythme mineur, Pascal crée un effet de surprise qui ruine la valeur du magistrat : « Que le prédicateur vienne à paraître, si la nature lui a donné une voix enrouée et un tour de visage bizarre, que son barbier l’ait mal rasé, si le hasard l’a encore barbouillé de surcroît, quelques grandes vérités qu’il annonce, je parie la perte de la gravité de notre sénateur ». Qu’il décrive un magistrat dans le faux ou dans le vrai, l’imagination conduit toujours à la fausseté.

  1. Eclatement des valeurs

Pascal nous fait plonger dans les ténèbres de l’esprit. L’imagination opère en « marquant du même caractère le vrai et le faux « . Il est donc impossible pour l’homme d’apporter le moindre jugement avec certitude. Les valeurs sur lesquelles repose la société sont minées : la justice est supplantée par l’imagination, la force des rois ne dépend que des soldats qui l’entourent. Pascal détruit donc tout un système de valeurs et un ordre social en soumettant toutes les pensées et toutes les actions au bon vouloir de l’imagination. Ce fragment est donc d’autant plus frappant qu’il est ténébreux, vivant et sans demi-mesure.

Le fragment « imagination » est un tour de force rhétorique qui fait table rase des valeurs communément connues comme les armes de l’homme contre la folie : la raison, la justice, le pouvoir. Cette démonstration logique et percutante parvient à nous convaincre de l’incroyable.

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Ce que je retiens des « Pensées » de Pascal

J’ai toujours pensé que « Les Pensées » de Pascal était un ouvrage peu comestible et incompréhensible. En se forçant un peu, il est possible d’y trouver son itinéraire et d’en tirer des enseignements en se laissant porter par la mélodie tragique du style lacunaire et péremptoire de l’auteur. Voici ce que je retiendrai de ma modeste lecture des « Pensées ».

Les facultés déficientes de l’homme

Dans Les Pensées, Pascal fait le constat de plusieurs fonctions déficientes chez l’homme qui empêchent l’accès à une vérité pure. Il condamne d’abord l’imagination, qu’il décrit comme « maîtresse de fausseté et d’erreur, d’autant plus fourbe qu’elle ne l’est pas toujours » (fragment 78). L’auteur nous peint à cette occasion un magistrat vieillissant qui inspire le respect par sa fonction mais qui serait décrédibilisé dès lors qu’il serait mal rasé ou mal maquillé. L’imagination inverse notre rapport des mérites et des devoirs : nous craignons ce qui est beau au lieu de l’aimer, nous aimons ce qui est fort au lieu de le craindre (fragment 91).

La coutume, qui est pour Pascal une « seconde nature » nous pousse à aimer et faire confiance aux apparences, ce qui plonge l’homme dans un déterminisme exalté (pardonnez l’anachornisme!) dont il ne mesure pas l’ampleur et dont il est prisonnier : « Que cela est bien tourné ! Que voilà un bel ouvrier ! Que ce soldat est hardi ! Voilà la source de nos inclinations et du choix de nos conditions » (F.69).

La raison, faculté de la pensée, est soumise aux passions et aux plaisirs, elle est un obstacle à la « recherche sincère de la vérité » : « il y a sans doute des lois naturelles mais cette raison corrompue a tout corrompu » (F.94). La raison, au lieu d’être la fonction motrice de l’esprit, n’en est que le dangereux instrument.

L’homme errant

Les facultés déficientes de l’homme le condamnent à l’errance. Nous sommes conincés dans la pensée du passé et du futur sans se soucier du présent qui est le véritable temps du repos : « Nous errons dans les temps qui ne sont pas les nôtres et ne pensons pas au seul qui nous appartient » (F.80). De même, nous n’avons donc aucune faculté à juger correctement du bien et du mal, du vrai et du faux : « L’âme ne s’offre jamais simple à aucun sujet […] De la vient qu’on pleure et qu’on rit d’une même chose » (F.87). Pascal se mettant à la place des libertins qu’il essaie de mettre d’accord sur le bien fondé de la religion s’exclame donc sur un ton tragique qui donne froid dans le dos : « Qui m’y a mis ? Par l’ordre et la conduite de qui ce temps et ce lieu a-t-il été destiné à moi ? » (F.102). L’homme ne trouve de sens au monde que par la foi et le repos.

L’homme monstrueux

L’âme de l’homme est un « tison de feu » (F.560), une entité contradictoire où le vrai côtoie le faux sans distinction. Nous sommes condamnés à vivre dans une incertitude permanente où la vérité ne se présente jamais sans une part de doute, la lumière étant un vestige de l’état originel de l’homme et les ténèbres le résultat de notre nature déchue après le chapitre sombre du péché originel : « Nos doutes ne peuvent pas ôter toute la clarté ni les lumièrs naturelles en chasser toutes les ténèbres » (F.141).

Cette caractéristique de l’homme l’enferme dans un état antithétique et contradictoire que Pascal fait vivre dans une énumération de tout et son contraire : « Quelle chimère est-ce donc que l’homme, quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, quel prodige, juge de toutes choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque d’incertitude et d’erreur, gloire et rebut de l’univers » (F.164). A quoi Pascal conclut : « Nous voilà bien payés ! ». En effet, cette clausule brève nous apprend que nous sommes prisonniers de notre double nature. Il se fait beaucoup moins optimiste quelques fragments plus bas : « Que le cœur de l’homme est creux et plein d’ordure » (F.171).

Grandeur et misère

Pascal considère que l’homme est à la fois grand et misérable. Premièrement, il est grand parce qu’il garde en lui des traces de sa première nature : « je sens que dans la nature il y a un être nécessaire, éternel et infini » (F.167). L’esprit de finesse permet de voir dans le monde des signes de l’éternité que peut offrir la foi. N’oublions pas que « Les Pensées » sont une œuvre autant apologétique que morale.

Par une métaphore théâtrale, Pascal exprime la bassesse de l’homme athée à qui l’éternité est efusé. Il condamne le theatrum mundi des libertins qui, soucieux de mondanités, finissent dans l’oubli et la décomposition corporelle la plus effrayante et lapidaire : « Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en toute le reste. On jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais » (F.197), ou encore : « Nous courons sans souci dans le précipice après que nous avons mis quelque chose devant pour nous empêcher de le voir »

Pour empêcher cette fin terrible que Pascal essaie de rendre insupportable à ceux qui ne croient pas en Dieu, il offre quelques issues positives : « Rien ne donne le repos que la recherche sincère de la vérité » (F;496), et aussi : « La foi dit bien ce que les sens ne disent pas, non pas le contraire de ce qu’ils voient, elle est au-dessus et non contre ».

Humilité

Pascal appelle l’homme à faire preuve d’humilité : « La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la surpassent » (F.220). La connaissance de la nature ambivalente de l’être humain doit conduire à une prise de conscience : « La connaissance de Dieu sans celle de sa misère fait l’orgueil. La connaissance de sa misère sans celle de Dieu fait le désespoir. La connaissance de Jesus Christ fait le milieu parce que nous y trouvons Dieu et notre misère » (F.225). Plutôt que de se soumettre à la seule raison, l’homme est invité à écouter son coer et sa finesse d’esprit pour tirer une leçon d’humilité : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point » (F.680). On peut penser qu’ici Pascal nous impose une injonction paradoxale. En effet, il nous prie de renoncer à la raison et de laisser libre cours à notre esprit de finesse, à notre sens commun, mais comment parvenir à cette humilité sans avoir recours à la raison pour nous y pousser ?

Rhétorique

Le dernier aspect concerne les reproches que Pascal fait aux sophistes et aux philosophes qui attachent plus d’importance à la forme de leurs propos qu’à la teneur des propos en eux-mêmes. Il écrit : « Ceux qui font des antithèses en forçant les mots sont comme ceux qui font de fausses fenêtres par la symétrie. Leur règle n’est pas de parler juste mais de faire des figures justes » (F.466). Il compare la rhétorique trop lourde à une « damoiselle trop remplies de miroirs et de chaînes », comme si la mauvaise rhétorique pleine de fioritures rendait la pensée obèse. Pascal, dans ses Pensées, applique ce qu’il prône en écrivant des phrases percutantes qui touchent au vif et n’entreprend pas un traité mais un dialogue méditatif : « Quand on lit trop vite ou trop doucement, on n’entend rien », dit-il dans le fragment 601.

En conclusion, l’état inachevé des Pensées nous montre un homme aux mutliples facettes capable de se mettre à la place de son public, un homme soucieux de susciter des réactions par des remarques parfois vertigineuses et d’autres au contraire légères voires comiques. On ne se lasse donc pas de se référer à ce vademecum qui saura satisfaire à toutes les humeurs du lecteur.

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