Archives de Tag: ville fertile

Exposition « La Ville fertile » : la ville peut-elle arrêter de dompter la nature?

Réflexions sur l’exposition La Ville fertile (Cité de l’architecture et du patrimoine, 23 mars-24 juillet 2011)

Sauf indication contraire, les citations sont extraites du catalogue officiel de l’exposition : « La Ville fertile : vers une nature urbaine » (Hors série, Paysage)

Exposition La Ville fertile au Palais Chaillot

Quels sont les mots que nous évoque la nature? Liberté, pureté, vie, pérennité et énergie? Ou inconnu, imprévisible, indomptable et effrayante? L’ambivalence de la définition de la nature est le fondement même de la réflexion à l’oeuvre dans l’exposition « La Ville fertile » à la Cité de l’architecture et du patrimoine.

L’urgence écologique appelle certes à un plus grand respect des phénomènes naturels tourmentés par les travaux humains au sein des villes. Toutefois, dans cette guerre qui a toujours opposé l’homme à son environnement, l’essence culturelle qui nous caractérise tous n’est pas près d’accepter la victoire de la nature sur l’intelligence humaine. Laisser la nature s’infiltrer dans la ville signifiera-t-il donc toujours qu’elle sera domptée et ingénieusement reconstruite pour nous offrir ce qu’elle a de bon (l’énergie, le sentiment d’appartenance à la terre, la diversité) sans que son caractère incontrôlable ne nous envahisse? Pour tenter de réconcilier les villes avec l’environnement, l’exposition soulève différentes définitions de ce que peut vouloir dire « vivre avec la nature ».

Qu’est-ce que la nature?

Il existe deux définitions de la nature. La première, qui relève de la science, la relie aux grands phénomènes que nous ne voyons pas et qui gouvernent aux grands comme aux petits mouvements. La deuxième définition, qui a trait aux usages l’assimile à ce qui est à l’extérieur de la ville, et recouvre des réalités aussi diverses que le jardin d’un pavillon, un champ agricole ou une forêt vierge. Le choix de l’une ou l’autre de ces définitions a beaucoup d’influence sur les relations à développer entre la ville et la nature. La bonne voie est selon nous de considérer la nature comme un esprit ou une manière d’être, et l’écueil serait de la définir uniquement comme un ensemble de marqueurs spatiaux.

Hypothèse 1. Laisser la nature se propager au cœur des habitats

Le premier chemin que propose l’exposition, consiste à intégrer la nature sauvage des forêts aux plans d’urbanisme en laissant une chance à l’imprévisible de s’exprimer. Il s’agit d’exploits architecturaux qui relèvent encore de la science fiction, à la manière des arbres-immeubles sortis de l’imagination de Tim Burton (La Planète des singes) ou de James Cameron (Avatar) Les travaux de Juan Azulay et de David Fletcher au Mak Center (Los Angeles) semblent pourtant avoir vaincu l’impossible en concevant un immeuble dont la structure métallique serait progressivement prise en main par des figuiers : « cette jungle hybride devient alors l’hôte des animaux, des visiteurs et des résidents » (voir vidéo Youtube). Ces images expriment à grande échelle ce que l’écrivain Marie Rouanet décrit dans son témoignage diffusé à l’exposition : à Paris, les herbes folles s’immiscent entre les briques et sortent des trottoirs pour reprendre leurs droits contre la haine ressentie par les hommes.

La deuxième option est plus probable et concerne la conception à long terme de terrains vagues (ou prairies) expérimentaux selon la théorie de la « géographie amplifiée ». En intégrant la notion de changement du paysage dès les esquisses, il sera possible malgré le caractère artificiel du paysage initial de laisser libre cours à l’expression de la terre. L’exposition présente l’exemple du cluster de Paris-Saclay, futur centre de recherche et d’innovation aux portes de Paris (site officiel du cluster de Paris-Saclay ). Selon Michel Desvigne, le maître du projet, la géographie amplifiée est une notion créée par Olmsted, l’urbaniste à l’origine de Washington DC. Elle permet d’accentuer sur de très grandes superficies la géographie locale afin de renforcer l’identité du territoire et assurer sa pérennité. Le schéma évolutif de Paris-Saclay se fonde initialement sur une préfiguration artificielle qui progressivement laisse au temps le travail de mise en valeur d’éléments déjà présents, ce qui donne naissance à « une nouvelle forme urbaine multifonctionnelle et compacte : les parcs-campus ».

Cette possibilité reste encore loin des mentalités actuelles qui conçoivent encore la protection de la nature comme un retrait obligé de l’activité humaine. En effet, quand Villages Nature revendique que 90% des terrains ne seront pas bâtis (communiqué de presse ), il s’agit à nouveau de souligner la rupture entre la ville et la forêt sans oser les faire cohabiter. Notre appréhension du développement durable, qui est encore jeune, n’a toujours pas triomphé de la peur de la nature. Comme le précise Bernadette Lizet dans les entretiens rendus publics au sein de l’exposition, la volonté de contrôler les paysages par une ingénierie hyper-technique révèle notre perception de la nature comme un danger dont nous voulons briser la spontanéité.

Hypothèse 2. S’inspirer de la nature sans la laisser entrer

La nature nous dit beaucoup sur les lois qui régissent l’univers. Si on considère que la nature n’est pas qu’une somme de marqueurs spatiaux (des arbres, des parterres de fleurs ou une fontaine), alors on peut construire des villes propres et inspirées de la nature sans aucun arbre. C’est ce que propose Bernard Lassus quand, dans son témoignage pour La Ville Fertile, il évoque l’idée d’«un artificiel qui devient naturel ». La notion de nature n’est pas fixe. Quand il s’agit d’urbanisme, la nature doit être définie comme un ensemble de « logiques sensibles ». Bernard Lassus a matérialisé l’absurdité de considérer que des plantes domptées suffisaient à intégrer la nature dans les villes en concevant des arbres en métal qu’il est possible de voir dans les jardins suspendus de Colas (site officiel de Bernard Lassus).

Les arbres artificiels des jardins de Colas conçus par Bernard Lassus

Un autre témoin de l’exposition, Michel Courajoud, poursuit dans le même sens : « La nature apprivoisée n’est plus la nature ». Il n’est pas question de compenser les déficiences des villes par des éléments naturels. Une plante n’est pas un substitut, une ville fertile n’est pas un bilan équilibré entre l’urbanité polluante et les plantes régénératrices. Le sens d’une ville fertile serait davantage de s’inspirer de ce que nous apprend la nature : la ville doit se muer en tissu complexe de liens et d’échanges durables.

Conclusion. Mettre en scène la nature pour la révéler

Le troisième grand élément que j’ai retenu de l’exposition « La Ville fertile » a été, au-delà des dissensions concernant les méthodes à suivre pour infiltrer la nature dans la ville, le thème permanent de l’urbanisme comme médiation ou outil de révélation. Si l’exposition pet passionner son public, c’est parce que, fidèlement au titre de la première salle, invoque « l’objet du désir ». La première salle de l’exposition est certainement la plus intéressante car elle exacerbe l’imagination et les visions futuristes de la ville à travers des références fréquentes à des productions culturelles populaires : 1989, Avatar, La Planète des singes, Inception, etc.

Il serait donc risqué de bannir les imaginaires issus de la culture humaine quand il s’agit de mener des réflexions sur les liens entre la nature et la ville. L’homme a la capacité d’apporter à la nature la signification que la nature peine à exprimer seule. Il semble que la deuxième partie de l’exposition veuille nous apprendre que la réconciliation entre les hommes et la nature passe par la reconstitution de cosmos complets autour d’éléments fondateurs de la vie (le feu, l’air, la terre, l’eau, l’espace, le temps) à l’échelle de superficies de dimensions humaines. Il s’agit de faire naître un sentiment de proximité et d’appartenance, de faire naître une présence.

Le chemin incontournable pour y parvenir est de construire une nature « hyperréelle », d’autres préféreront l’expression de « nature amplifiée ». L’idée de nature peut être incarnée par différentes inspirations culturelles afin de susciter des impressions ou des sentiments et de sensibiliser le passant. Le paysage peut donc faire exécuter une chorégraphie à l’environnement pour faire jaillir une relation entre le résident et l’environnement qui ne soit pas fondée sur un échange contemplatif temporaire mais sur une volonté quotidienne de vivre au sein de territoires exprimant une plénitude apportée par la présence de tous les éléments. Pour finir sur une idée de Bernard Lassus défendue dans son témoignage diffusé à l’exposition, nous devons cesser de concevoir des paysages à traverser pour privilégier la construction de passages, ce qui implique une plus-value d’expérience et de durée. Cette nouvelle inscription permettra de guérir la blessure qui sépare l’homme de son environnement.

1 commentaire

Classé dans Urbanisme et développement durable