Doubles vies : un film sur les vrais faux enjeux du numérique ?

phone-1052023_960_720Le dernier film réalisé par Olivier Assayas, Doubles vies, s’apparente à une fable sur la relativisation et la nature anthropologique. L’intrigue démêle les relations extra-conjugales de plusieurs couples, sur fond du questionnement d’un directeur de maison d’édition sur la numérisation de son catalogue, et de la carrière plate d’un de ses auteurs en mal de public qui ne peut s’empêcher d’écrire sur sa propre vie. C’est le choix d’associer deux intrigues, une sur les couples et une autre touchant à la numérisation du monde de l’édition, qui éveille la curiosité et l’intérêt.

La problématique générale issue de cette confrontation pourrait être la suivante: le numérique génère-t-il une modification profonde de l’humain ? Que reste-t-il au contraire de fondamental, d’inchangeable, dans l’être humain comme être social ?

Les illusions de l’innovation en philosophie et sociologie

De nombreux chercheurs en histoire des techniques soulèvent déjà la question de l’impact technique sur le corps et la pensée, ce que Doubles vies met en récit sur un ton incisif, cruel, ironique et comique. Le philosophe Walter Benjamin, dans les années 1930, suivi par ses héritiers, se demande quelles nouvelles compétences visuelles d’analyse sont par exemple développées chez le spectateur par l’émergence du cinéma (pour les héritiers, voir l’ouvrage collectif Persistances benjaminiennes : http://psn.univ-paris3.fr/ouvrage/21-persistances-benjaminiennes).

Ces réflexions suscitent aujourd’hui des rêves et des anticipations, mais aussi des articles scientifiques (https://lejournal.cnrs.fr/billets/transhumanisme-de-lillusion-a-limposture), sur la création progressive d’une espèce transhumaine, mi-homme, mi-machine.

La sociologie de l’innovation (Madeleine Akrich, Michel Callon, Gérard Gaglio et Bruno Latour, notamment), s’est également penchée sur la question de l’innovation comme proclamation incessante d’une nouvelle nouveauté ou au contraire comme banalisation et appropriation d’une invention dans les pratiques.

Le fond et la surface, ou la désillusion du changement

C’est dans un contexte à moitié illuminé et obsédé par le digital que le film Doubles vies tente de faire la part des choses sur le phénomène numérique comme outil marchand reposant sur l’argument répété de la « révolution merveilleuse » (alors que la révolution est plutôt rejetée sur le plan politique par la pensée entrepreneuriale…). Le numérique représente peut-être une « illusion nécessaire » (Chomsky) : il s’agirait d’un micro-événement ou d’une atmosphères qui laisse croire que la pensée est plurielle et que tout peut changer alors que ce n’est qu’un écran de fumée qui conforte la pensée dominante en créant des bulles d’aération.

Dans le film, cette idée est retranscrite par la phrase célèbre de Lampedusa dans Le Guépard, et justement signalée comme banale par le personnage d’Alain (Guillaume Canet) quand elle est prononcée par Laure (Christa Théret) : « Il faut que tout change pour que rien ne change ». La citation du fougueux Tancrède dans Le Guépard adressée au vieux Salina face à la révolution italienne reprend en effet l’image d’un changement total de surface permettant au système de fond de se pérenniser (pour plus de réflexions sur ces fins de monde, voir le rapport du jury d’agrégation de lettres modernes de 2016, p.14 à p.32 : http://media.devenirenseignant.gouv.fr/file/externe/53/6/rj-2016-agregation-externe-lettresmodernes_-_v2_670536.pdf). Les œuvres du romantisme désenchanté, comme on les a appelées, abordent largement ce thème de la montagne qui accouche d’une souris (Lorenzaccio de Musset) ou d’un espoir de progrès qui se transforme en débauche (cf. la description amère de la révolution de 1848 par Flaubert dans L’Éducation sentimentale). Le « mal du siècle » décrit par Musset et dû la déception des espoirs liés à la Révolution française qui a accouché de régimes bourgeois autoritaires va-t-il revivre dans le désenchantement des déçus du numérique?

La polysémie du double

Dans la structure de Doubles vies, on nous fait croire dans la première partie du film que le numérique sera central dans l’intrigue alors qu’il n’est qu’un prétexte de surface pour révéler les manies immuables des relations sociales. Ce premier sens qui fait directement référence au Guépard est complété par la sens de la polysémie du titre Doubles vies. L’expression « double vie » est courante est définit la pratique secrète de deux existences familiales et/ou professionnelles parallèles. La mise au pluriel de l’expression dans le titre du film suggère deux autres significations :

– plusieurs couples dans l’intrigue ont une relation extra-conjugale,

– il existe différents types de vies parallèles : apparences sociales / intimité cachée (pour David, l’homme politique conseillé par Valérie), vie réelle / vie du roman (pour le personnage Léonard, auteur d’autofictions).

De la parodie de la révolution numérique à la peinture de relations sociales cruelles que le numérique n’a pas inventées

Si on en revient à la fonction structurelle du thème du numérique dans le film, on constate d’abord qu’il est fortement ironisé dans les discours illuminés, parfois ampoulés voire incompréhensibles de ses partisans. Dans le cas de la consultante en « transformation numérique », Laure, chargée d’accompagner la maison d’édition d’Alain dans sa digitalisation, il s’agit de phrases prononcées sur un ton monocorde et robotique, apprises par cœur, jouant sur des analyses apparemment sociologiques, mais dans le fond tellement assertives qu’elles sont ironiques et parodient les discours séducteurs des agences de conseil.

Dans le registre parodique, citons aussi les débats interminables des « Je-sais-Tout » qui inondent le film et font sourire. L’écrivain blogueur aux « 5000 vues par jour », ami du couple Canet/Binoche, tient des propos sur un ton péremptoire, assis profondément et vulgairement dans un fauteuil, sur la gratuité, l’art, l’écriture et les liens entre numérique, goinfrerie d’actualités et édition traditionnelle. Selena, incarnée par Juliette Binoche, est le personnage symbolisant le regard amusé du spectateur qui prend de la hauteur, refuse à la fois l’enchantement et le catastrophisme et joue l’avocat du diable pour ne pas laisser s’imposer un discours rempli de certitudes sur les innovations qu’on nous présente sans cesse.

Toutefois, le numérique n’est pas le seul concerné par ces conversations entre « bonnes » personnes. La rencontre en librairie entre le personnage Léonard et les détracteurs de son roman un peu trop autobiographique amorce aussi le débat sur la qualité d’une oeuvre en soi ou la qualité de sa réputation. Dans une scène qui rejoue la censure de Baudelaire et Flaubert pour immoralité, Léonard est contraint de répondre davantage aux accusations qu’aux remarques sur son style.

Autre exemple, lors d’une soirée, Valérie est prise à partie personnellement sur son engagement auprès d’un élu local alors que le sujet traite du système politique en général. Qui n’a pas déjà vécu cette scène de la vie quotidienne ? Vous avez par exemple une passion, et le monde entier, au lieu de vous encourager et de s’intéresser, vous renvoie aux visages et les vices et les travers du système pour vous écœurer et suggérer votre naïveté car vous ne comprenez rien à rien. Nous avons tous été au moins une fois victime et bourreau dans ce genre de situation.

Hormis la cruauté sociale de ces scènes qui fait reposer sur Valérie le poids de la défense du monde politique ou sur Léonard la honte de ses sources d’inspiration, alors qu’elle veut juste y croire encore un peu et qu’il cherche à sublimer un traumatisme par la fiction, on apprend surtout dans ces passages, qui font écho aux discussions stériles sur le numérique, que le sujet du film n’est pas la technique digitale en soi. Ce serait plutôt  d’autres drames du quotidien qui éclosent dans tous les contextes sociaux, comme l’engagement, le lien entre vie privée, vie publique et travail, l’entraide et l’indifférence, la sincérité, l’effet de groupe, la pluralité de chaque individu. Chaque personnage du film, à ce titre, se contredit et est inclassable.

Conclusion : tout ça pour ça !

Dans le film, les choses importantes qu’on vient de mentionner sont finalement très peu abordées dans le cadre collectif et mondain, où on parlerait en conclusion de sujets vains en perdant beaucoup de temps. La scène finale du film est révélatrice : face à la mer (symbole romantique de la nature à la fois éternelle et capricieuse), le couple se réconcilie autour de l’annonce d’une grossesse, avec une conversation sur l’endroit où se trouve exactement le bébé dans le ventre. De même, peu avant le dénouement, on remarque que Laure est finalement intéressée par autre chose que le numérique, un désir d’évasion qui reste mystérieux. Tout au long de l’intrigue, de petites phrases indiquent en effet que chacun tente d’affirmer aux autres qu’il les connaît mieux que personne : « tu as toujours été commercial », « tu aimes l’argent », etc. L’essentiel se joue en coulisses, loin du monde, loin des observateurs.

À travers l’écran de fumée d’un fil rouge sur la transformation numérique d’une maison d’édition, le film Doubles vies développe le paradoxe d’un monde dit « connecté » où les frontières de la vie sociale persistent, qu’elles apportent des émotions positives ou négatives (pudeur, secret, intimité, passion sans mots pour les partager, incompréhension, préjugés, etc.). Le prétexte du numérique n’est donc que le contexte contemporain dans lequel sont soulevées les mêmes questions que dans les plus grands romans, qu’ils soient imprimés ou sur liseuse, des Liaisons dangereuses de Laclos aux Belles Images de Simone de Beauvoir.

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« Macron dans l’arène » : quel courage de ne rien faire !

Le quotidien gratuit CNews titrait ce vendredi 25 janvier un de ces sujets à la une « Macron dans l’arène ». Le chapô indiquait que le président participait à un débat citoyen. Mais le titre de l’article de Challenges (ici) pourrait aussi faire l’objet de longues réflexions sur cette « arène citoyenne » à qui on donne du pain et des jeux, et à laquelle « s’invite » le président, comme s’il n’en faisait pas déjà partie, peut-être parce qu’il appartient au salon feutré de l’élite où on parle sérieusement ? Mais je me contenterai de deux réflexions sur le titre de CNews, une sur le pléonasme « débat citoyen », et une autre sur le courage présumé d’un président « dans l’arène ».

Le pléonasme et la perte de sens des mots

La première réflexion traitera du pléonasme « débat citoyen ». Un pléonasme est la juxtaposition de deux termes qui portent le même sens et qui paraît donc répétitive inutilement, comme « un petit nain ».  On pourrait bien se demander ce que serait un débat non-citoyen, puisque nous sommes tous citoyens, tout le temps. Au travail, dans la rue, à l’école, au cinéma ou dans un supermarché, nous sommes avant tout citoyen. Ce pléonasme est le symptôme d’un phénomène plus large de perte de sens des mots, qui entraîne le besoin de requalifier sans cesse par des adjectifs des noms qui portent déjà le sens de cet adjectif. Hormis « débat citoyen », citons « vérité vraie », « science intègre », « débat collectif », « entreprise humaine » ou de « responsabilité sociétale et environnementale », etc.

Pourquoi et pour quoi ces pléonasmes ?

Si le besoin de ces adjectifs positifs a émergé, c’est bien parce que la vérité s’est révélée comme manipulable et naïvement définissable, c’est parce que la science peut être mise au service d’éditeurs avides et des intérêts de groupes industriels, c’est parce que certains débats ressemblent davantage à une suite de témoignages stériles qu’à un échange constructif ; c’est parce que les entreprises n’ont plus la connotation de groupe humain tourné vers un objectif sociétal. Or, la vérité est un processus et non un fait, une science non-intègre n’est plus de la science, un débat non-collectif n’est pas un débat, une entreprise non-humaine est une phénomène naturel (la question de l’entreprise inhumaine est un autre sujet!).

Le contexte néo et ortho-libéral que nous subissons plus ou moins avec le sourire a produit des expressions absurdes. Les mots sont utilisés de manière orwellienne pour faire accepter le pire (le mot « amour » est par exemple utilisé pour dire « guerre », « choix » pour dire « obligation », « flexibilité » pour dire « soumission ») : il faut donc, dans le langage courant, redonner à ces mots pervertis leur sens premier avec l’ajout d’un adjectif, ce qui a donné le droit à un débat de rester stérile, à une entreprise de négliger l’humain. Les rayons « bio » dans les supermarchés suivent le même esprit : s’il y a un rayon « bio » séparé (qui jouerait le rôle de l’adjectif), on imagine que les autres rayons ne le sont pas (nom qui a perdu son sens). Un jour, on nous parlera de société sociétale, de sécurité sûre et de bonheur heureux.

Le président Macron et le courage

Arène et débat: une métaphore qui méprise la démocratie

La deuxième interrogation soulevée par le titre « Macron dans l’arène » naît du choix du terme arène. La métaphore du toréador jeté dans l’arène face au taureau, du chrétien livré aux fauves, ou des gladiateurs qui s’entre-tuent, est fréquente en journalisme et dans le langage courant. On dit souvent aussi qu’on s’engage dans la « fosse aux serpents » ou la « fosse aux lions » avant d’intervenir face à un groupe difficile. En tout cas, cette métaphore symbolise la situation d’une personne seule contre tous. Le titre met ainsi en scène l’héroïsme de Macron face à la sauvagerie d’un peuple avec qui il ferait le sacrifice de débattre dans une arène où attendent dans l’imaginaire taureaux et lions. Le peuple est seul décideur légitime, désolé que l’élite en soit fâchée. Voilà que les journaux, par le choix du mot arène, font du président une victime, comme s’il était un intellectuel condamné par des idiots avides de chair fraîche.

Or, n’oublions pas que la sauvagerie vient plutôt des dirigeants, autant dans les mots que dans les actes politiques, voire les déclarations illégales. Le pouvoir LREM se défend ou présente ses excuses en expliquant que « les gens n’ont peut-être pas tout compris, que le gouvernement n’a pas été assez pédagogue ». On peut aussi penser, en se mettant de l’autre côté, que les gens comprennent très bien et qu’ils ne sont simplement pas d’accord avec la marche forcée et inconditionnelle qu’on nous impose à travers des réformes inadaptées, injustes, accessoires.

Ne confondons pas le bac à sable et l’arène !

Après l’arène, passons plus particulièrement au « seul contre tous » et à l’idée de courage qui s’en dégage. Le courage politique qu’on nous montre serait prouvé par le fait de se mêler à la foule, d’aller lancer une petite pique mesquine à un citoyen mécontent et répéter en boucle le même programme en affirmant « tenir le cap ». Le cap de LREM étant de délier tout ce qui a été lié depuis des siècles par les combats et réflexions philosophiques, et ensuite d’appeler cela progrès, c’est déjà problématique.

L’autre remarque à formuler sur le courage est justement que les bains de foule ne sont pas des marques de courage, c’est l’activité d’un président et rien de plus. Les usagers du métro parisien, si on y pense, vont également tous les jours dans l’arène citoyenne, et on ne les félicite pas tous les jours dans les quotidiens et les chaînes de radio publiques. À la différence des lois et des décisions importantes, les bains de foule du président sont cependant visibles et passent très bien à l’écran en jouant la proximité physique. Alors pourquoi s’armer de courage politique quand on peut y faire croire en se promenant dans la rue au milieu de citoyens ?

On peut comprendre sans accepter : la vérité n’est pas une et unique

Le courage politique serait bien plus productif pour Monsieur le Président s’il proposait des changements radicaux plutôt que de ressasser que la fatalité et le contexte international nous imposent la libéralisation de tout, les inégalités, la liberté des plus riches et la répression des plus démunis. Monsieur Macron est sûrement persuadé d’être courageux parce qu’il pense détenir la vérité sur plein de valeurs et sur la bonne vision du monde. Pour un élu, c’est une erreur et une errance. Foncer tête droite pour un programme qui a convaincu un quart des Français, c’est appliquer, non la République en marche, mais la Vérité en marche, ce qui est proche d’un régime dictatorial dans une démocratie théâtrale qui se paie de mots. On sent dans ses prises de parole qu’il se croit extrêmement légitime, habité par la mission d’expliquer qu’il a raison. Ceux qui ne comprennent pas sont donc des fainéants, de mauvaise volonté, ou n’ont pas le goût de l’effort. Ce raisonnement, porté également par la majorité parlementaire, est cohérent mais léger intellectuellement. Il y a une vérité dans la manière de poser une multiplication, pas dans la manière dont doit se répartir la richesse d’un pays.

Monsieur Macron décrit le courage comme « le goût de l’effort ». Mais, dans ses termes, il s’agit d’un effort pour s’adapter aux conditions de vie désastreuses confortées par ses réformes et, selon lui, par une conjoncture presque divine des marchés, un monde qui lui convient assez bien dans ses grandes lignes. Or, il est aussi possible de penser que l’effort serait de réfléchir à une autre configuration, d’oser penser autrement et de mettre les efforts non au service de la survie, non pour s’en sortir, mais pour construire ensemble un monde avec un projet économique, environnemental et social d’envergure.

Au lieu de cela, l’effort vu par LREM est de se battre pour devenir millionnaire. Cette conception égoïste de l’effort est aussi une cause du mépris exprimé par la majorité politique (élue, j’entends). Le nouveau livre de Madame Pinçon-Charlot est instructif sur ces thèmes. L’effort n’est pas de s’en sortir dans le cadre actuel comme si ce cadre était une fatalité, mais de trouver des voies de sorties vers un autre cadre. Pourquoi continuer dans le modèle de la compétition puisqu’on en a bien fait le tour dans toutes ses variantes sans donner au plus grand nombre et aux générations à venir les conditions du bien-être? Mais non…le monde va bien, il ne faut que lui apporter quelques correctifs par des lois aux titres grandiloquents, il faut laisser s’enchaîner des mandats insignifiants, puisque le politique n’a plus d’importance dans l’univers des initiatives personnelles.

Le courage de Monsieur Macron, en bref, est donc de servir ce monde en le préservant au maximum, sans rien faire d’autre que réprimer ceux qui s’y opposent ! Il utilise pour cela les arguments classiques des conservateurs, justement analysés par André Gosselin (article à lire dans cette revue). Sur le glyphosate, Monsieur Macron se refuse de l’interdire car cela aurait pour conséquence de ruiner la filière agricole : il fait naître la peur d’un désastre, comme le Rassemblement National sur l’immigration, les homophobes sur le mariage gay, etc. Si on en revient au courage, Monsieur Macron pourrait entreprendre un grand projet de substitution du glyphosate, déjà pris en charge par les agriculteurs eux-mêmes qui disposeraient selon l’INRA d’un grand nombre de solutions. Monsieur Macron ment en affirmant qu’il mentirait en disant qu’il y a des solutions de rechange.

En revanche, il était très urgent de supprimer l’Impôt Solidaire sur la Fortune, de préparer la libéralisation du rail et d’inverser la hiérarchie des normes du droit du travail. Monsieur Macron prépare une ère où il ne sera plus nécessaire de faire des réformes puisqu’il n’y aura plus aucun texte sur lequel réfléchir. L’État servira uniquement à punir et surveiller : en bref, à garantir les bonnes conditions d’un capitalisme prédateur. À gauche aussi, on peut crier au désastre, mais dans le but de conserver ce qui crée le social, pas ce qui le détruit.

Conclusion: le courage n’est pas chez les illuminés qui attendent

C’est donc la classe dirigeante qui est particulièrement fainéante, pas les chômeurs et les dénommés « assistés ». Les industriels font tout pour que rien ne change, la majorité politique également. À eux, il faudrait leur donner notre entière confiance et ne pas contrôler leur richesse émanant pourtant des travailleurs. Et aux démunis, il faudrait infliger toujours plus de contrôles (chômeurs, manifestants, salariés) et toujours moins d’aides. Pour libérer les riches (comme entité symbolique, non comme individus), il faut museler les moins riches grâce auxquels ils ont ce qu’ils ont. Un riche ne se fait jamais tout seul, tout comme Macron n’est jamais seul dans l’arène. C’est le peuple qui se bat dans l’arène que sa famille de pensée a elle-même construite et dont il contemple l’héritage et la continuité du haut de sa tribune.

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Trois phrases énervantes et six traumatismes de l’ère LREM

Phrase n°1 : « La haine anti-Macron : d’où vient-elle ? »

L’Express de la semaine du 12 au 18 novembre titre « La haine anti-Macron ».

Quel mauvais titre ! Et pour deux raisons. Les Français soulevés dans le mouvement des Gilets Jaunes sont traités de « haineux », alors qu’ils défendent des idées philosophiques, réfléchissent au sens de la vie ensemble, du bien commun et de la représentation politique. Il n’y a pas de haine mais une insurrection contre un ordre injuste. Ce ne sont pas des gens de « l’ultragauche » furieuse, comme le journaliste de « l’ultraconnerie » le prétend. Mais il ne fallait pas s’attendre à plus de respect de la part de L’Express qui, comme son nom l’indique, écrit trop vite sans réfléchir aux mots utilisés.

La deuxième raison est associée à la première : il n’y a pas de haine « anti-Macron », mais une réflexion qui va contre la vision du monde qu’il représente et qu’il défend dans ses lois orwelliennes, dont les noms sont contraires à leur contenu. Le président de la République, son gouvernement et l’assemblée issue de son mouvement, comme le dit une des seules phrases non-grossières du dossier de L’Express, sont tellement certains de détenir la vérité qu’ils s’opposent à tout un courant de pensée qui traverse la population. C’est oublier que c’est le peuple qui est souverain, pas l’Assemblée en tant que telle, et encore moins le président de la République. Les despotes éclairés sont d’un autre temps.

Phrase n°2 : « Les gens ont voté, il faut lui donner sa chance »

Les élections de 2017 ont donné à la majorité un socle électoral fragile. Mais, même si 60% des inscrits avaient voté pour LREM, cela ne donnerait pas un chèque en blanc à une majorité parlementaire ou à un pouvoir exécutif pour faire ce qu’ils entendent, même s’ils respectent un sacro-saint programme, sans rectifier les mesures en fonction du souhait des Français. Mais l’option du référendum fait peur.

Les Français ont le droit de se rendre compte que le cap pris n’est finalement pas le bon, sans attendre que les désastres prévisibles ne se réalisent. Un programme d’élection présidentielle n’est pas une stratégie d’entreprise à développer sur cinq ans et déclamée en séminaire de Top Managers. Le président n’est pas un patron et n’est pas là pour insuffler une bonne parole à ses employés. Nous sommes dans un pays fondé uniquement sur la volonté d’être ensemble et des principes communs, et sur aucun autre objectif chiffré ou d’image.

Il n’y a pas de République au-delà du peuple français, c’est ce qu’oublient aussi ces preneurs de paroles politiques ou médiatiques et autres chroniqueurs qui chantent à tout va la préservation d’un présumé ordre républicain. L’institution ne doit pas remplacer le peuple mais le représenter.

Phrase n°3 : « Il dit la vérité, donc les gens se vexent »

Certains peuvent penser que la colère viendrait du fait que le pouvoir « ose » enfin faire bouger les lignes, avec courage et détermination. Les discussions sur la psychologie d’un président jeune et fougueux qui s’exprime dans des phrases piquantes sans réfléchir sont amusantes, et on y participe tous, mais il ne faut pas y voir autre chose qu’un divertissement. En toute logique, que Monsieur Macron verse une larme ou pas à la télévision, qu’il soit sincère ou pas, cela n’a rien de politique.

L’argument défendant que le pouvoir dit la vérité et que cela énerve le peuple n’est pas infaillible, car la vérité n’existe pas en politique. Cet article n’étale par exemple qu’une opinion et ne se veut pas vérité absolue sur ce qu’il faut mettre en place pour vivre mieux ensemble. Il n’existe pas non plus de « fin de l’histoire » ou de victoire définitive du capitalisme comme certains ont pu le dire.

Les Français veulent peut-être des réformes, mais pas celles-là, ou plus celles-là. LREM nous sert du réchauffé rebattu par la Commission européenne ortho-libérale, mais je ne vais pas nier que cela demande du courage ! Il suffit d’écouter les députés à l’Assemblée pour comprendre le malaise dans lequel ils se trouvent et qui tourne à l’euphorie malsaine : de plus en plus, ils se lèvent dans l’hémicycle pour applaudir sans raison des intervenants qui brassent de l’air. Le chant du cygne… En bref, dire qu’un président fait « enfin » des réformes n’est pas un argument en soi valable, car il coupe court à un débat sur le contenu de ces réformes.

Le courant de pensée de droite dont LREM se revendique met en place partout dans le monde une organisation fondée sur l’oppression sociale pour favoriser la liberté du capital : cela commence par une division du peuple pour le mettre en colère en opposant les méritants et les fainéants, et lui reprocher ensuite d’être en colère pour le museler. Le musellement se fait de deux manières : par la dénonciation de l’insurrection en violence illégitime, et par la ponction en taxes qui, contrairement aux impôts et aux cotisations, sont injustes.

Six traînées de poudre à ne pas oublier

Je n’oublierai pas en 90 jours, malgré les théories fumeuses des conseillers en communication, que :

  • Les employés de la SNCF ont été traités de privilégiés pendant qu’on supprimait l’impôt solidaire sur la fortune pour donner une « bonne image » de la France aux investisseurs. Les investisseurs ne veulent pas payer moins d’impôts : ils veulent des routes, des personnels qualifiés et des infrastructures. Les gens ne veulent pas choisir entre des trains bleus et des trains verts, puisque deux trains ne peuvent pas partager un même rail. Ils veulent des trains qui roulent et partout. On sait que la libéralisation des monopoles dans l’énergie et le transport conduisent au désastre. Dans le conflit social à la SNCF, on a supprimé des droits acquis par le combat syndical pour « agiter » les concernés, on a fait semblant de les écouter dans des fausses concertations qui sont en fait des auditions, puis leur colère a été montrée comme la preuve qu’ils étaient bien privilégiés et stupides.
  • Le Code du Travail transformé en « frein à l’embauche » a été souillé par des réflexions indignes sur la libération des énergies. Les énergies sont en effet libérées depuis cinq semaines sur les ronds-points et les carrefours : bravo, Messieurs de l’exécutif. J’ai vu le soutien apporté par des passants aux grévistes de l’Holiday Inn à Clichy. Dans la même période, j’ai entendu des gens râler parce certaines branches avaient de meilleures conventions collectives que la leur et se contenter de cet argument pour en demander la dégradation. Le monde marche sur la tête : pourquoi ne pas demander plus de droits sociaux plutôt d’exiger que l’autre en ait moins ? Gardons toujours en tête que le privilégié n’est pas toujours visible ! Un multimilliardaire en colère ne manifeste pas, il passe un coup de téléphone. Ne jugez pas la caissière qui doit s’occuper de six caisses automatiques et tarde à vous servir, mais demandez des comptes à l’employeur qui l’épuise. Cet employeur vous dira toujours que ce n’est pas lui qui décide…L’impossibilité de s’insurger collectivement est institutionnalisée par la pression sur les individus et l’absence de responsable, puisque tout cela fait « système ». La classe dirigeante peut donc plaindre en pleurnichant et en toute impunité les pauvres victimes de ce système inaltérable incarné dans « la crise », « la mondialisation », le « c’est comme ça », ou autres inventions utilisées par les libéraux pour refuser tout progrès social.
  • On nous sert des montagnes qui accouchent de petits rats nocifs depuis un an et demi: pathétique loi sur la confiance en la vie parlementaire, suppression d’un statut protecteur pour défouler la haine sur des travailleurs et pas sur les oies gavées du capitalisme, réussite de tous les étudiants grâce à une plateforme déjà manipulée par les utilisateurs et une nouvelle contribution de 90 euros. Si vouloir un autre monde et proposer des solutions concrètes pour lui donner corps plutôt que de bidouiller des impôts par-ci et des allègements par-là, c’est être un Gaulois grognon, alors je suis ravi d’en être.
  • Le pouvoir en place vit dans l’ancien monde: il pense que tout salaire est mérité quel qu’en soit le montant, il pense que le libéralisme économique pacifie les peuples alors qu’il les divise, il pense que la créativité vient de la concurrence non-faussée et du burn-out, il pense qu’une taxe et des aides à l’achat de chaudières et panneaux solaires sauveront l’environnement, il pense qu’il vaut mieux dégrader les services publics pour faire croire à une augmentation du pouvoir d’achat et vendre tout et n’importe quoi sans planification intelligente. Les personnes qui prétendent que rien d’autre n’est possible ont le droit d’assumer que ce monde leur convient. Mais je préfère une France où je cotise chaque mois pour ma Sécurité Sociale et celles de mes concitoyens, plutôt que de payer, avec un salaire triplé et sans cotisations, uniquement les frais dont ma petite personne a besoin.  Je préfère payer des impôts pour de bons services publics équilibrés plutôt que de choisir moi-même à quelle école privée ou à quel musée abandonné je vais donner mon argent. Les Français ne forment pas une ethnie : nous ne sommes donc liés que par des systèmes de solidarité. Ceux-ci sont fragiles et nécessitent une vigilance dans la manière dont les donneurs de leçons sur le mérite et le travail les détricotent progressivement. Les détruire, c’est détruire la Nation qui n’a que des principes universels et n’a aucune couleur ou frontière.
  • Le chef du gouvernement prévoit de décupler les frais d’inscriptions pour les étudiants étrangers hors « espace communautaire » (sic!) : la France n’est pas qu’européenne, elle est universelle. Un étudiant étranger qui paiera 3000 euros son année de master aura droit aux mêmes salles bondées et aux mêmes enseignants que les autres. Il n’y a donc aucune justification de proposer ces tarifs qui sont une honte pour la France. Venir étudier en France quand on est défavorisé dans son pays, Monsieur le Premier Ministre, c’est déjà un parcours du combattant, c’est déjà très cher, et c’est une preuve de respect pour nos valeurs, notre langue et notre histoire rebelle. Qu’on ne vienne pas nous sortir l’argument stupide de ceux « qui profitent ». Les universités françaises seraient presque vides sans cette matière grise venue du monde entier, pas seulement des familles qui peuvent se le permettre. Chercher à attirer tel ou tel profil de tel ou tel pays, c’est prendre les gens pour des marchandises et les dégrader au lieu de les honorer.
  • Des parlementaires et des membres du gouvernement ont applaudi le président de la République lorsqu’il se félicitait d’avoir employé Monsieur Benalla, et pendant que des fonctionnaires étaient accusés plus ou moins implicitement d’obéir aux ordres émanant des ministères.

Dans un blog dédié à l’imagination et aux autres mondes, cet article me semblait important et légitime. Je suis loin d’inventer l’eau chaude mais la violence symbolique subie est trop forte pour résister à la décrire avec mes mots. J’invite tous ceux qui le peuvent à mettre des mots sur l’angoisse provoquée par l’idéologie qu’on nous impose comme « la seule possible ». Cet article s’oppose à mes principes de réserve sur internet et me rapproche des énervés du clavier que je dénonce habituellement dans mon coin, mais chacun fait ce qu’il peut avec ses armes.

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Coco : un film qui fait moins peur de mourir

En grandissant, phénomène étrange, je pleure de plus en plus à la fin des dessins animés Disney. Je ne me l’explique pas vraiment. Peut-être que je suis davantage sensible aux émotions des personnages face à des événements qui parlent à des adultes : les consécrations amoureuses, les réconciliations familiales, les déclarations d’amitié. Tout cela, un enfant peut le comprendre mais peut difficilement s’y identifier ou se projeter. Je n’ai bien entendu jamais vécu dans mon existence une situation disneyienne, mais quand j’imagine dans que cela puisse arriver, les larmes se mettent à couler. C’est de l’empathie, il ne faut pas vivre un malheur pour le partager, mais simplement un cœur et de l’imagination. Or, contrairement à ce qu’on croit, je pense que les enfants manquent souvent d’imagination. On ne les nourrirait pas de fictions, sinon. Nuance : ils sont demandeurs de contenus imaginaires. Quoi qu’il en soit, j’ai pleuré pendant le dernier quart d’heure du dessin animé Coco. Ce dessin animé aborde des thèmes qui me font fondre : la libération de la parole dans le cercle familial, et le souvenir des défunts. C’est donc tout à fait personnel et, il me semble pendant les fêtes de fin d’année, aussi universel.

Libération de la parole dans le cercle familial

La libération de la parole intervient à deux niveaux. D’abord, c’est Miguel qui incarne une certaine liberté, celle de s’opposer à sa famille qui rejette l’idée qu’il puisse être musicien. Or, cette liberté est à relativiser puisqu’elle s’inscrit en filigrane dans la transmission génétique du don artistique : Miguel se sent légitimement artiste dès lors qu’il croit découvrir que son ancêtre était un grand chanteur. La réflexion qui surgit est la suivante : une rébellion peut-elle s’effectuer hors de tout modèle ? Tout acte de liberté ne s’inscrit-il pas dans la copie d’une figure tutélaire ? Y a-t-il véritablement créativité dans l’acte rebelle ? Sincèrement, je ne le crois pas. Moi-même qui m’affirme révolutionnaire me nourris de très vieilles idées qui transpirent la naphtaline et les livres poussiéreux.

Le deuxième aspect de la libération de la parole est plus conciliant car il est chargé de déclarations d’amour qui ne surviennent que dans les moments de crise où on sent que tout est perdu, qu’il faut saisir l’occasion de dire ce qu’on pense au risque de ne jamais pouvoir le dire ultérieurement. Disney et Pixar traitent la question du non-dit et du tabou familial sur le registre de l’émotion et fait de la parole ouverte la résolution même du récit, puisque l’amour enfoui enfin exprimé permettra à Hector de ne pas succomber à la dernière mort et à Miguel de vivre enfin son rêve. Si le mal semble résider dans la première partie du film au sein de la famille, c’est en réalité la solution qui s’y trouve : l’unité familiale résout le conflit. Le véritable mal s’incarne dans l’usurpation et le malentendu que celle-ci entretient. Quand le mensonge s’effondre, la famille se rassemble et peut produire un collectif qui veut prouver que le groupe est plus fort quand il est soudé et transparent, tout en étant respectueux des choix et libertés de chacun.

Coco est en cela fidèle à d’autres dessins animés classiques de Disney : la marâtre de Cendrillon est elle aussi une usurpatrice, le père de la petite sirène résout le conflit en acceptant que la liberté de sa fille ne réduira pas son amour pour lui et renforcera ainsi la famille. La famille est un élément perturbateur au début du film mais s’avère la solution du conflit à la fin du film. Là est l’utopie de Disney. Cette effusion de sentiments à la fin des films qu’on ne connaîtra jamais dans nos propres familles est émouvante parce qu’elle entend la douleur profonde de nos conflits familiaux souvent intériorisés.

Artistes et famille

  • Concilier famille et art (le rôle de rapprochement du rituel de la chanson « Ne m’oublie pas » entre Hector et Coco)

Coco traite une question banale à laquelle il est difficile d’apporter des réponses complexes : comment concilier l’ambition personnelle et les responsabilités collectives ? Finalement, question d’actualité, l’intérêt individuel peut-il contribuer à l’intérêt collectif ? Coco présente, avec d’un côté Hector Rivera, et de l’autre, Ernesto de la Cruz, une opposition de styles. Hector a quitté sa famille à regret pour exercer le métier d’artiste, mais il a trouvé un moyen de marier son art à sa vie de famille à travers un rituel : sa fille, Coco, et lui chantent à la même heure chaque jour la chanson qu’Hector a écrite : Ne m’oublie pas. La chanson est alors un moyen de créer un lien malgré la distance.

  • Quitter la famille par ambition (Ernesto de la Cruz)

Ernesto de la Cruz, quant à lui, utilise l’art différemment. Il est un opportuniste ambitieux capable de voler les textes et les partitions de son associé avant de l’assassiner. L’art est pour lui synonyme de célébrité et d’enrichissement matériel. Dans le monde des morts, il est connu pour sa fête annuelle prisée et très huppée ponctuée par un concert final devant la foule. Un technicien de sa troupe affirme même qu’il ne se rend jamais aux répétitions.

  • Du manichéisme à la dialectique

Le dessin animé s’inscrit donc dans un manichéisme bien connu : la vedette cupide manipulatrice sans talent face à l’artiste sensible qui fait de son art un lien humain. Disney se critiquerait-il lui-même dans ce film ? Ou s’agit-il d’une parodie des critiques qu’on lui reproche souvent ? Alan Bryman, dans Disney and his worlds, signale que le problème de Walt Disney dans la gestion de sa réputation a toujours été le fragile équilibre entre son image d’homme d’affaires et son statut d’artiste obsédé par les détails qui ne compte pas les dépenses, problème qui suit toujours la firme aujourd’hui et qui produit grands nombres de discours idéologiques, adoratifs comme haineux.

Ce conflit réside dans l’ambiguïté de l’expression d’Ernesto de la Cruz qui dit à cor et à cri qu’il faut « saisir l’opportunité ». Disney diffuse constamment le message qu’il faut « croire en ses rêves » et prier les bonnes étoiles (« wish upon a star »). Les deux questions morales soulevées en filigrane ne sont pas anodines : limites à ne pas dépasser pour atteindre ses objectifs, attendre les bonnes grâces du destin ou construire soi-même son avenir. Miguel a le choix entre reprendre confortablement le commerce familial ou de prendre des risques pour se réaliser là où il excelle, au risque d’être rejeté. L’ambition est punie dans le cas d’Ernesto qui finit oublié de tous et dans celui d’Hector qui, bien que réhabilité à la fin, a été assassiné dans sa première vie pour avoir quitté sa famille et suivi un ami peu scrupuleux. L’ambition de Miguel, elle, est récompensée, parce que la famille a appris de ses erreurs passées et a compris que l’extrémisme, la rancune et la haine brisent le lien social. La connaissance des faits conduit au pardon, alors que l’ignorance mène à la peur et à la haine. On se croirait dans Star Wars ! Coco est un hymne au compromis et au droit à une deuxième vie, ce qui nous donne une transition idéale pour passer au dernier thème de cet article : la métaphore du souvenir et de l’oubli.

Métaphore du souvenir et de l’oubli

Les éléments merveilleux dans une œuvre de fiction ont toujours une fonction symbolique qui permet de rendre visible une idée abstraite. Dans Coco, le monde des morts en fait partie. Cet univers parallèle est peuplé des défunts dont les vivants se souviennent. Une fois par an, pour le Jour des Morts (Dia de los Muertos), les morts peuvent aller observer leurs descendants si ces derniers ont posé leur photographie sur un autel. On voit bien que des éléments concrets (une ville pour les morts, les photographies) symbolisent une notion abstraite : le souvenir. Coco institutionnalise le souvenir à travers une organisation bureaucratique parodique du Jour des Morts. Miguel qui, au début du film, est loin d’être intéressé par cette cérémonie du souvenir, finit par être le héros qui va permettre à son ancêtre Hector de renaître dans le monde des morts grâce au souvenir ravivé de son existence dans l’esprit de la vieille Coco, sa fille. La réhabilitation d’Hector pérennise définitivement sa survie dans le monde des morts. Le récit et l’image sont les deux garde-fous de l’oubli présentés par Disney.

La menace est en effet grande pour les morts auxquels plus personne ne pense dans le monde des vivants. Ils sont condamnés à éprouver une « dernière mort » dont personne ne connaît la nature. Cette dernière mort symbolise l’oubli total. Le film adresse donc un message moral aux spectateurs : « N’oubliez pas vos morts ! Ils comptent sur vous et pensent à vous, vous protègent ! ». Pour ceux qui ont peur de mourir, le film arrive donc à rendre positive la mort en la transformant en deuxième vie garantie par les souvenirs laissés aux êtres chers, et où il est possible de retrouver les êtres qu’on a perdus. Pour ceux qui souffrent de la mort d’un proche, le film est aussi rassurant car les disparus restent présents près de leurs descendants à travers la cérémonie annuelle, même si les morts ne peuvent communiquer avec les vivants. C’est un appel à faire le bien sur Terre pour ne pas être oublié et laisser une trace : la conclusion hautement morale s’inscrit donc dans la tradition des studios Disney.

Coco est efficace car il projette des images rassurantes sur la souffrance et rend visible l’inexprimable. C’est en cela un conte merveilleux capable de faire réfléchir un enfant et de tirer une larme ou deux à un adulte conscient qu’il doit tout à ses aïeux. En sortant de la salle de cinéma, je fus même pris d’une envie folle d’imprimer des photos de tous ceux que j’aime, mais je dois admettre qu’en vieillissant je ne m’assagis pas et perds de mon rationalisme… malheureusement ?

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C’est « déjà enfin » Noël à Disneyland Paris

Peu de parcs de loisirs sont ouverts pendant la période de Noël, du fait de leur identité estivale. Disneyland Paris, quant à lui, ouvre ses portes 365 jours par an selon le souhait de Walt Disney à l’ouverture du premier parc Disney en 1955 en Californie. Prévues à cet effet, les attractions sont majoritairement en intérieur. Depuis aujourd’hui, début de la saison de Noël à Disneyland Paris, les espaces extérieurs font oublier et s’approprient même la froideur de l’hiver en s’habillant de la « magie » de Noël par l’installation de décorations traditionnelles comme le sapin, les rubans, les cadeaux et les guirlandes, sans omettre le pouvoir de la musique de Noël qui, comme dirait Marc Augé, est une paraphrase des décors qui nous rappelle que nous sommes, à Disneyland Paris, hors du temps et de l’espace.

Une logique commerciale accompagnée d’une promesse de voyage

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Les personnages Disney se parent des attributs des lutins de Noël apparus la première fois dans un conte au XIXè siècle.

On dit souvent que Noël commence de plus en plus tôt. Les catalogues de jouets envahissent nos boites aux lettres dès le mois d’octobre. On ne compte plus les slogans qui nous annoncent que « c’est déjà Noël ! ». Disneyland Paris, qui est une entreprise événementielle, se doit de se renouveler à chaque saison pour continuer d’attirer des visiteurs. Depuis 1931, avec l’arrivée du Père Noël de Coca Cola, Noël est une période destinée à faire vendre. Sur les affiches de publicité, sur le site internet et dans les spots radio, on peut lire et entendre que « c’est enfin déjà Noël à Disneyland Paris » et qu’il n’est « plus besoin d’attendre pour fêter Noël ». La proximité des deux adverbes temporels « enfin » et « déjà » repose sur un paradoxe. « Déjà » indique en effet une apparition anticipée d’un événement tandis que « enfin » indique l’idée d’une attente, d’une réalisation tardive. Ainsi, le slogan de Disneyland Paris combine le plaisir de l’arrivée en avance de Noël et un plaisir d’autant plus fort qu’il se réalise après une longue attente.

Ce que propose Disneyland Paris, c’est un univers construit, factice et fictif sur le thème de Noël pour perturber le cours naturel du temps, en nous invitant à passer Noël avant et après la date du 25 décembre. Ce pouvoir du parc de loisirs de nous faire voyager dans le temps relève aussi d’une stratégie commerciale qui fait durer la période de grande consommation qu’est Noël. N’oublions pas non plus que dans le château de la Belle au Bois Dormant se trouve une boutique qui vend des articles de décorations de Noël toute l’année, et que la promesse des parcs Disney repose sur le voyage dans le temps, l’espace et l’imagination. Les parcs de loisirs se définissent de cette façon comme des espaces clos où les lois de la physique n’ont plus lieu. Le temps y est dilaté par les faux flocons de neige et les bohnommes de neige en résine. Si Nöel semble une manière de rapprocher les visiteurs de leur présent en fêtant Nöel comme eux, c’est en fait un prétexte à l’évasion hors du temps. Ce que propose Disneyland toute l’année est multiplié à Noël.

Une vision païenne de Noël

Qui dit logique commerciale dit univers commercial. Les symboles de Noël présents à Disneyland Paris sont issus d’une tradition à la fois littéraire, commerciale. La première figure de cette vision païenne de Noël est le Père Noël. Ce personnage merveilleux dont les attributs sont empruntés au conte de Clement Clarke Moore, « The Night Before Christams », paru en 1821, est devenu le personnage principal incarnant le conte de fée que les enfants ont l’impression de vivre chaque année. Cet héritage littéraire ne pouvait qu’avoir toute sa place à Disneyland, qui est le lieu où les contes merveilleux prennent vie.

Une autre référence syncrétique s’est glissée sur le site internet du parc. En nous invitant à déambuler dans les allées décorées du parc, on nout dit : « Suivez votre bonne étoile ». Cette allusion bliblique aux rois mages guidés par une étoile pour rejoindre Jésus s’accompagne d’une référence au dessin animé « Pinocchio » et à son titre musical phare : « When you wish upon a star ». S’opère alors un mariage entre le Noël chrétien et l’héritage Disney. (les rois mages et Pinocchio : syncrétisme chrétien et populaire, « when you wish upon a star. Disneyland propose aussi aux réveillons de Noël et du nouvel an des « menus de fête traditionnels » remplis « convivialité » au sein de ses hôtels et restaurants. Disneyland Paris construit de manière artificielle l’esprit de Noël et de fin d’année, qui repose sur la réunion familiale et amicale autour d’un bon repas. Fêter Noël à Disneyland, c’est se plonger dans une atmosphère paroxystique.

Des émotions paroxystiques

Cette conception paroxystique de Noël est traduite par un vocabulaire rempli d’emphase qui inonde les présentations des animations proposées par le parc sur internet. Un parc d’attractions, c’est un lieu offrant des sensations fortes décuplées par un univers décoré et des attractions virevoltantes. L’esprit de Noël est donc réapproprié pour devenir une source d’émotions fortes. On trouve dans les descriptions des événements spéciaux la présence du vocabulaire de la lumière et du merveilleux: « les flocons de neige scintillent », « surprises éblouissantes », « illuminations féériques », « laissez-vous éblouir », « fêtes de fin d’année enchantées ».Ce langage paroxystique est à la limite de la redondance : dans la description du spectacle Disney Dreams, on relève même une faute de style avec la proximité de l’expression « saison enchantée » et celle de « surprises enchantées » ou encore de « moment enchanté ».

Les sensations fortes consistent aussi à créer des souvenirs. On trouve sur le site internet de multiples références aux souvenirs « inoubliables » et « gravés à jamais ». Le souvenir est aussi photographique. En proposant des moments passés avec les personnages Disney, le parc nous invite à immortaliser l’instant : « Prenez la pose aux côtés du Père Noël et des personnages Disney ». Tous les costumes et les spectacles sont liés à Noël pendant la saison : les photographies montrent Donald et Mickey vêtus de tuniques rouges et blanches comme celle du Père Noël. Le film « La Reine des Neiges » est réinvesti dans un spectacle du fait de sa proximité avec le thème de l’hiver dans les pays nordiques. Les années précédentes, nous pouvions aussi déambuler dans le village de « La Belle et la Bête », dessin animé dont la plus grande partie se passe en hiver. Disney effectue donc des collages qui font se marier les symboles de Noël et les productions culturelles de la marque-mère, la tradition des studios étant de sortir un dessin-animé phare durant la période des fêtes de fin d’année.

En conclusion, Disneyland Paris s’approprie Noël de plusieurs façons : les dessins animés sont utilisés afin d’illustrer l’esprit de Noël. Ce même esprit est rendu paroxystique par les décors, les animations et les spectacles décrites dans un vocabulaire emphatique. Tout cela a un but : prolonger la période de Noël pour attirer des visiteurs avides de sensations et d’émotions, au cours d’un voyage dans l’espace, le temps et l’imaginaire. L’esprit de Noël, auparavant une tradition familiale, est un chez Disneyland Paris un concept événementiel. Le parc vend, plus que jamais pendant les fêtes de Noël où les attractions ont moins d’importance, de l’esprit, de la culture populaire, du temps d’enchantement condensé. Se joue alors une intéressante dialectique de la proximité et de l’évasion, entre convivialité et imagination.

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Les parcs à thème et leurs coulisses

Cet été, nous avons été submergés par une série de reportages sur les parcs à thème qui dévoilaient aux journalistes leurs coulisses pour nous rappeler que la haute saison battait son plein et que les parcs étaient prêts à accueillir les visiteurs pour leur proposer des sensations toujours nouvelles. Des classiques comme Disneyland Paris au Parc Astérix en passant par le maître des sensations fortes, PortAventura, et même le modeste Nigloland, nous avons entendu parler des petits comme des grands. Ces reportages ne nous apprennent pas grand chose sur les coulisses des parcs mais nous révèlent plutôt la manière dont les parcs veulent bien communiquer sur leurs coulisses. Les reportages sont des outils de communication visant à attirer toujours plus de visiteurs et à entretenir le mystère autour du rêve vendu par ces entreprises colossales qui impressionnent.

I – Montrer les coulisses, une histoire de cinéma

Les parcs et leur making-of

Les parcs à thème sont intimement liés à l’histoire du cinéma depuis l’ouverture de Disneyland Resort en 1955 en Californie. Comme les films, les parcs à thème offrent leur making-of. Dans leur face visible, les parcs à thème sont des films grandeur nature à explorer. Tous les parcs à thème de grande ampleur sont inspirés de films ou de personnages médiatiques : les parcs Disney, Parc Warner à Madrid, Universal Studios en Floride, Parc Astérix.

Du côté de la face invisible, les nombreux reportages sur les parcs à thème jouent le rôle de making-of. Comment est huilée la mécanique des parcs à thème ? Les employés, ces artisans du rêve, sont-ils des gens comme nous ? Que se passe-t-il lorsque les grilles sont fermées au public ? Les reportages sont friands d’images aériennes qui révèlent la partie cachée des parcs et les toits de tôle invisibles pour les spectateurs et qui jurent avec les façades peintes aux formes architecturales travaillées qu’on observe en se promenant dans les parcs. Les prises de vue aériennes montrent au grand jour les « hangars décorés », pour reprendre l’expression chère aux architectes Venturi et Scott Brown dans leur ouvrage « L’enseignement de Las Vegas ». Dans le reportage « Les coulisses du royaume de Mickey » diffusé le 30 octobre 2016 dans Zone Interdite sur M6, on nous montre par exemple une prise de vue satellite qui colore les zones de hangar et les zones des parcs pour révéler que la zone interdite au public est bien plus grande que les espaces de loisirs ouverts au public, et ainsi créer un effet d’émerveillement et d’étonnement.

Des attractions autour du cinéma, oui, mais sous quel format ?

Walt Disney voulait initialement faire un parc à deux pas des studios Disney pour en faire visiter les décors. Son projet a ensuite pris une plus grande ampleur, jusqu’à devenir un studio géant où les fictions deviennent réalité. Le parc Universal Studios se vante d’être le seul parc à thème au cœur d’un studio toujours en activité. Les parcs Disney, eux, construisent des attractions en lien avec le monde du cinéma en exhibant de fausses coulisses, comme le Studio Tram Tour de Walt Disney Studios à Marne-la-Vallée. Mais les parcs à thème sur les coulisses du cinéma lassent vite s’ils n’innovent pas. Le parc Walt Disney Studios a vite été critiqué, depuis son ouverture en 2002, pour son offre muséale dénuée de sensations fortes. Disneyland Paris a donc investi dans des attractions traditionnelles à sensations. Plus que de découvrir de fausses coulisses ou d’apprendre les ficelles du métier, les visiteurs veulent vivre les films et être plongés dans un univers fictionnel. Le parc Universal Studios a la force de jouer sur les deux niveaux, en proposant à la fois des visites des studios et des attractions à sensations inspirées de scénarii de films.

II – Un dévoilement partiel et mis en scène

Le fait de faire visiter des coulisses, c’est transformer ces mêmes coulisses en lieux de spectacle, et donc ruiner leur identité de coulisses. On imagine alors que les coulisses ont elles-mêmes leurs coulisses. C’est cette quadrature du cercle que doit résoudre le tournage de reportages sur les parcs : dévoiler les rouages sans briser le mystère.

Repousser les limites du rêve

Dans les reportages que nous avons pu voir cet été, nous avons observé un jeu de caché/montré. Les coulisses chez Disneyland Paris sont montrées avec parcimonie. Dans le film « Disneyland Paris, dans les coulisses d’un parc d’attractions », qui a été l’objet de rediffusions cet été, nous sommes frappés par les prises de vue millimétrées, caractérisées par des plans serrés, comme un arrêt de bus en gros plan ou une façade de hangar, sans jamais montrer de plans d’ensemble. On parcourt pas les coulisses comme un employé mais plutôt comme un visiteur à bord d’une attraction qui a accès à différentes scènes du film successives. Ce sur quoi insistent les reportages, ce sont aussi les coins reculés et cachés, comme les entrées dérobées réservées aux employés, ou la mise en scène de ces coulisses. A Disneyland Paris, par exemple, les routes et les bâtiments des coulisses ont des noms inspirés de films Disney, et on peut tomber nez à nez avec des statues à l’effigie de personnages connus. Enfin, ce qui est montré avec grande pompe, c’est l’aspect spectaculaire et incroyable des bâtiments et des hangars. Tout est misé sur l’impression de grandeur de ces éléments : la garde-robe des employés de Disneyland Paris est filmée comme un labyrinthe, comme une attraction en soi. Tout cela pour dire quoi ? Que le film ne s’arrête pas, que tout est toujours spectacle, même dans les coulisses. Les limites du rêve sont repoussées plus loin, et les employés deviennent des gens enfermés dans la bulle de leur propre représentation.

L’intérêt de montrer les coulisses

Le premier intérêt direct de dévoiler les coulisses est de favoriser la proximité avec les visiteurs en révélant les mécanismes de l’usine à rêves. Les parcs sont assumés comme des industries et non plus comme une destination fondée sur l’évasion et le rêve. Mais la déformation des coulisses que nous avons vu à l’oeuvre intègre les rouage au rêve. Il n’y a donc pas plus de réalité dans les coulisses que dans le parc.

Le deuxième intérêt de révéler ainsi les coulisses relève de l’attractivité pour le département des ressources humaines du parc. Les reportages valorisent le travail des collaborateurs et les rend exceptionnels en les montrant comme des artisans du rêve. Un emploi mal payé et souvent précaire comme au Parc Astérix ou à Disneyland Paris devient une mission noble : rendre heureux les visiteurs. Comme le dit James B Stewart dans son ouvrage « Le Royaume enchanté », les collaborateurs d’abord employés par dépit se réveillent vingt ans plus tard toujours au même poste, poussés par l’adrénaline que procure le rôle de vendeur de rêve, le plaisir de lire la joie dans les yeux des visiteurs. Voir dans le reportage de Zone Interdite les centaines de candidats postulant à des postes payés au SMIC a comme objectif de faire rêver de potentiels candidats et de valoriser la marque-employeur. En voyant ainsi les gens se bousculer aux portes du royaume de Mickey, on ne peut qu’adhérer et se dire que la mission est noble, qu’être employé dans un parc, c’est un rêve de carrière en soi. Nous sommes en 2016, et la plupart des jeunes candidats sont tous nés avec la culture des parcs d’attraction. En 2010, Disneyland Paris a accueilli son premier collaborateur de 18 ans qui était né pendant l’existence du parc.

En conclusion, il n’est pas impossible qu’on vendra un jour avec le billet du parc un accès privilégié aux coulisses, ce qui repoussera plus loin les véritables entrailles des parcs, dans une spirale de surenchère. Il n’est pas peu dire que les parcs d’attraction fascinent pour leur organisation millimétrée et bien huilée. C’est ce que les parcs veulent avant tout montrer en ouvrant leurs portes aux journalistes. Les parcs souhaitent démontrer qu’ils maîtrisent les flux de foule et les enjeux liés à la sécurité, ce qui n’est pas négligeable en période de vigilance face aux attentats terroristes. Attirer, faire rêver, rassurer, voilà les enjeux des reportages sur les coulisses des parcs à thème.

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Les parcs à thème et Halloween

La société de consommation est ritualisée par des saisons commerciales qui ont tendance à s’étaler de plus en plus dans le temps. Les catalogues de Noël paraissent dès le mois d’octobre, les commerces décorent leur vitrine aux couleurs d’Halloween dès le mois de septembre, et il en est de même pour Pâques ou même les vacances d’été. Nous sommes le 22 octobre, Halloween approche et les affiches publicitaires vantant les événements spéciaux des parcs à thème pour l’occasion envahissent les villes. Quel est l’enjeu d’Halloween pour les parcs à thème ? Faire venir davantage de visiteurs en compensant la météo défavorable par une offre adaptée ? Faire revenir les visiteurs estivaux avec une offre modifiée ? Halloween est une occasion pour les parcs à thème de rallonger la saison d’accueil des visiteurs (souvent d’avril à septembre) et de se mettre du beurre dans les épinards. Nous avons repéré trois enjeux majeurs dans cette saison d’Halloween au sein des parcs à thème. D’abord, comment concilier le plaisir et la peur ? Ensuite, que vendre d’attractif ? Enfin, comme se distinguer de la concurrence dans le cadre d’une fête standardisée par les images des citrouilles et des fantômes ?

I – Comment concilier le rêve et la peur ?

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Halloween est l’occasion d’animer les endroits phares des parcs, comme ici l’attraction Oziris au parc Astérix.

Les parcs à thème sont des lieux d’amusement familiaux. Ainsi est-il difficile de fonder des campagnes sur le seul motif de la peur qui dissuaderait un grand nombre de familles. La communication des parcs à thème jouent alors une carte très artificielle : la peur peut être amusante ! Cela peut paraître évident et banal, mais c’est en réalité plus profond qu’on ne le croit. Umberto Eco, dans La Guerre du faux, ouvrage où il décrit entre autres son voyage à Disneyland en Californie, nous livre la définition de son concept d’hyperréalité. Les parcs à thème offrent une version recréée de la réalité qui nous permet d’en goûter le risque sans craindre le moindre danger. Ainsi, on prend plaisir à tomber sur un automate de crocodile au fil d’une rivière reconstituée. Le principe est le même pour Halloween : la peur nous est offerte sur un plateau d’argent dans ce qu’elle a d’intense pour les sens mais dénuée de ses inconvénients. Nous sommes dans le cas de l’ilynx théorisé par Roger Caillois dans Les Jeux et les hommes : une aventure qui donne le vertige sans les dangers du vertige. C’est exactement ce qui se joue dans l’affiche de Walibi pour promouvoir Halloween : nous pouvons y voir un personnage sanguinolent et armé sur lequel est inscrit le slogan : « Enjoy the day » (Profite de ta journée). C’est cette antithèse qui commande à la majorité des campagnes sur Halloween dans les parcs à thème.

Ainsi, Disneyland Paris appelle sa saison d’Halloween par un jeu de mots : « HalLOLween », et parle sur son site d’imMORTaliser la magie. Voici le texte de présentation de la saison sur le site internet de Disneyland Paris : « Halloween, amusant ou effrayant ? Gentils ou méchants, les Personnages Disney vous invitent au Parc Disneyland pour vivre un Halloween entre rires et frayeurs. Pour Halloween, fantômes et citrouilles se sont passé le mot : à Disneyland Paris on ne meurt jamais d’ennui ! » Disneyland Paris joue sur les antithèses : amusant/effrayant, gentils/méchants, rires/frayeurs. Le texte se contente de livrer de telles oppositions sans les expliquer dans le but de ne pas devenir contre-indiqué pour un public plus jeune et sensible. Le maître-mot de Disneyland Paris est la magie : l’essentiel est pour le public de rencontrer des personnages des films. C’est ce que Disneyland Paris met à l’honneur pour rassurer son public : tout cela, ce n’est finalement que du cinéma ! La peur est ainsi neutralisée par le plaisir de n’être que spectateur.
Le Parc Astérix a lui aussi sa méthode pour ne pas faire de la peur un argument de dissuasion pour le jeune public. La page réservée à la saison d’Halloween se divise en catégories de publics pour s’adapter aux différents types de visiteurs : « pour les petits Gaulois », « en famille », « pour les plus téméraires ». Halloween prend alors différents visages : de gentils fantômes souriants dans les décors réservés aux plus petits avec comme slogan : « Amusez-vous à avoir peur », ce qui est assez proche de l’approche de Disnayland Paris. Pour les plus grands, on peut croiser des acteurs déguisés en effrayants zombies dans les maisons hantées décorées pour l’occasion. Une d’elle est même déconseillée aux moins de 16 ans !
Portaventura mise aussi sur la conciliation de la peur et du plaisir dans son paragraphe de présentation : « Le moment le plus effroyablement amusant de l’année est arrivé : la fête d’Halloween de PortAventura. Préparez-vous pour une fête où régnera le mystère ; rencontrez un shérif cupide, affrontez l’épidémie de [REC], un maître-sculpteur de citrouille, la Familia Halloween et toutes sortes d’amusants personnages. Les frissons sont garantis ! » L’oxymore « effroyablement amusant » dont le sens nous échappe semble être choisi par contrainte et semble nous inviter à nous amuser en ayant peur. L’adjectif « amusant » est répété une seconde fois à la fin du pragraphe pour qualifier les personnages que nous sommes susceptibles de rencontrer dans les allées du parc. La phrase suivante est antithétique puisqu’elle nous promet des « frissons ». Halloween est, chez Portaventura, très éloigné de la mort puisque les personnages présentés pour l’occasion sont les membres de la « familia Halloween » et un « chef-sculpteur de citrouilles » ! Halloween, c’est d’abord une occasion de faire la fête en famille, à Portaventura. Comme se conclut le paragraphe de présentation : « Amusez-vous à vous faire peur lors de l’Halloween de PortAventura ! ». Avoir peur, c’est un jeu qu’on pratique en toute sécurité dans le cadre clos du parc à thème.
A Walibi, en Belgique, la saison d’Halloween accueille une zone réservée aux enfants nommée « Mini Monsterland ». Voici comment elle est décrite : « Entrez dans cette zone délicatement effrayante où les enfants pourront affronter  leurs plus grandes peurs, mais avec beaucoup de plaisir et de rires. Un Halloween plein de citrouilles et de petits monstres sympathiques. » Nous remarquons les traditionnels oxymores et antithèses que nous avons déjà repérés dans la communication des parcs sur Halloween : « zone délicatement effrayante », « affronter leurs plus grandes peurs, mais avec beaucoup de plaisirs et de rires ».
Quelle est la signification de ce traitement de la peur sous la forme du plaisir ? Les parcs à thème sont les lieux de l’imaginaire où peut se produire un phénomène de catharsis de la peur. Halloween et les parcs à thème se retrouvent comme deux jumeaux dans le rapport à la peur et à la mort : les parcs à thème nous invitent à bord d’attractions sécurisées qui défient les extrêmes. Ainsi, nous pouvons noter un lien étroit entre les parcs à thème et le surréalisme, la psychanalyse et le surnaturel. Il est intéressant de voir que le Parc Astérix et Walibi mettent tous les deux en scène un hôpital psychiatrique dans les maisons hantées qu’ils proposent aux visiteurs. La maison psychiatrique est en fait le double des parcs de loisirs, là où se défoulent nos envies les plus suicidaires à bord d’attractions ahurissantes, là où naissent des univers issus de nos fantasmes.

Le parc Astérix propose « La Maison de la peur » : « Amateurs de sensations fortes, laissez-vous hypnotiser par le Dr Cérébrus. Psychiatre et alchimiste à ses heures, qui vous entraîne dans un parcours initiatique jonché de vampires, morts-vivants et autres monstres pour affronter vos pires cauchemars ! (Déconseillé aux moins de 16 ans) »

A Walibi aussi nous notons la création d’un asile de fous : « Ce manoir vieux de quelques siècles, cache derrière cette façade imposante, des secrets inavouables. Dirigé par Igor, un directeur d’asile pas très conventionnel, cet endroit n’est rien de moins qu’un laboratoire à immortels. Depuis des années Igor porte ses recherches sur la création d’un être unique, croisement entre zombie et vampire. Le monstre ultime, sera la création d’Igor ! Venez donc vite voir tous ces zombies de laboratoire… ). »

Ces asiles hantés à visiter nous font penser bien sûr au « Rêve de Vénus » de Salvador Dali à l’exposition internationale de New York. L’autre face de l’humanité, celle dont on a honte, se libère dans les parcs à thème au moment d’Halloween. En confrontant le rêve et la peur, les parcs à thème ne sont donc pas des lieux aussi lisses qu’on aimerait bien le faire croire. Ils portent en eux les stigmates d’une humanité effrayée et tentée par l’obscurité de ses fantasmes.

II – Que vendre de plus à Halloween ?

Que les parcs à thème cherchent-ils à nous vendre lors de la saison d’Halloween ? En premier lieu, une touche de peur. Nous avons fait comme si le lien entre la peur et Halloween allait de soi mais ce n’est pas le cas. Halloween a été lié à la peur justement par les industries du loisir et, tout d’abord, par l’industrie cinématographique qui en a fait un levier de films d’épouvante. Cette peur, comme nous l’avons vu dans la première partie, est d’un type spécial car il s’agit d’une peur orchestrée et teintée de rires. On rit de la peur artificielle qu’on nous fait éprouver. Il s’agit d’une peur joyeuse car elle se vit dans la certitude d’être en sécurité. Les parcs à thème usent du même procédé cathartique que les films d’horreur.

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La « familia Halloween » de Portaventura fait d’Halloween un moment convivial à passer en famille et met la peur de côté.

Les parcs à thème vendent surtout une transformation du produit dans le but de faire revenir les visiteurs qui seraient déjà venus au cour de la saison estivale. Les parcs offrent alors une programmation différente. Toute une page est dédiée à Halloween sur les sites internet des grands parcs à thème : Disneyland Paris, Parc Astérix, Portaventura et Walibi Belgium. En quoi consistent ces transformations ? Principalement, il s’agit d’animer les grands pôles des parcs : les personnages méchants des dessins animés Disney se retrouvent au cœur d’un roncier géant près du château de la Belle au bois dormant à Disneyland Paris. Le centre du parc est aussi le lieu d’un spectacle tout nouveau et la parade se pare de couleurs orangées et chaudes propres à l’automne. Quant au Parc Astérix, un spectacle nocturne a lieu devant l’attraction phare, Oziris.

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Halloween se présente chez Disneyland Paris comme dans un film dont le décor est le parc.

Ce qui est étonnant dans la transformation des parcs pendant la période d’Halloween, c’est l’univers cinématographique inspiré des films d’horreur. Les parcs à thème renouent alors avec l’industrie qui les a vus naître. N’oublions pas que les parcs Disney du monde entier et le parcs Universal Studios en Floride fondent leurs univers sur des films. Au Parc Astérix, ainsi est décrite une des maisons hantées du parc nommée « La colère d’Anubis » : « Au musée du Havre, l’inventaire d’une collection d’Égypte antique a libéré des esprits contrariés. Si vous les provoquez, nul ne sait comment ils vont se manifester. Pénétrez dans les lieux à vos risques et périls, mais restez sur vos gardes… ». Outre cet univers égyptien où est exploité le motif classique de la momie, on peut également se retrouver en plein milieu d’une mission spatiale qui tourne mal au sein du parcours intitulé « Mission perdue » : « Partez pour une expédition dans les étoiles à la recherche de l’équipage égaré sur une étrange planète. Rencontre du 3ème type garantie. Expérience 3D». Les exemples sont nombreux de mises enscène des parcours hantés. A Walibi, nous ne citerons que l’un d’eux, reprenant le thème de la mine démoniaque présent dans de nombreux parcs à thème. Voici le résumé de « Mine Blast » : « Oserez-vous pénétrer dans la mine désaffectée hantée par Lord Gazby ? A la suite d’une forte explosion de gaz, les lieux ont été dévastés, et ne restent plus que des corps brûlés, qui se décomposent peu à peu, mais ces cadavres en sont-ils vraiment ? Peut-être ne sont-ils pas aussi morts qu’il n’y paraît… Entrez dans cette zone et essayez d’en ressortir indemne… ».

Sans multiplier les exemples inutilement, ce qui est important de voir est la transformation du spectateur de décors en acteur de son propre film. Ces parcours hantés s’adressent aux jeunes adultes et aux adultes conscients du caractère fictif de l’aventure dans laquelle ils se lancent. Les enfants n’ont pas conscience de cette limite entre réalité et fiction, c’est pourquoi les parcs déconseillent aux plus jeunes ce type de parcours, et pourquoi Disneyland Paris n’en propose aucun. Halloween est l’occasion de réinjecter du spectacle vivant dans les parcs à thème et de les rapprocher davantage de l’ambiance de foire fondée sur l’imprévisible : la vidéo de présentation de la « Mortal Fiesta » au parc Bellewaerde met l’accent sur ce point en montrant au maximum les acteurs employés pour effrayer les visiteurs dans les files d’attente et les attractions. Halloween, c’est la saison de l’inattendu. Les parcs Disney, à l’organisation très lisse, ne proposent pas de tels acteurs déguisés en monstres car cela ne correspond pas à l’image de marque du parc et sort de l’univers Disney. Ce dernier point nous interroge donc sur le troisième enjeu d’Halloween dans les parcs à thème : comment faire de cette fête standardisée une expérience unique et concurrentielle dans chaque parc ?
III – Quand la marque permet de personnaliser Halloween

 

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A Portaventura, Halloween débarque dans un semblant de nature qui nous emmène au cœur de l’automne, avec ses légumes de saison.

Halloween est un ensemble de clichés : les citrouilles et courges de toutes tailles, les bonbons, les monstres, vampires et autres diablotins. C’est en réalité la fête qui vient ranimer une période terne entre la fin des vacances d’été et le début de la période de Noël. Initialement célébrée le 31 octobre, la fête d’Halloween occupe tout le mois d’octobre dans les parcs de loisirs. Or, les parcs de loisirs ont chacun un univers propre qui influence leur manière d’aborder la fête. Nous en avons déjà vu quelques aspects : Disneyland évite les effusions de sang pour mettre en valeur plutôt l’aspect accueillant des méchants de dessins animés en faisant oublier la cruauté de certains films, dans le but de célébrer avant tout la magie. Walibi s’adresse plutôt à un public d’adolescents friands de frayeurs et de films d’horreurs. Le parc Astérix s’adresse à toutes les catégories de publics en variant son offre d’attractions d’Halloween. Comment les parcs de loisirs personnalisent-ils leur vision d’Halloween ?

Chez Disneyland Paris, la parade s’orne des fruits de saison et de couleurs brunes et mates habituellement associées à l’automne pour « célébrer la plus belle fête de l’automne ». Les personnages d’Halloween sont tirés de l’univers Disney. Le « Festival Halloween » devient le festival des méchants de dessins animés. Sur le site internet du parc, on peut apercevoir une image qui semble tiré du film « Maléfique » mais dans le décor de Disneyland Paris. Halloween est construit comme un film à vivre en vrai. Portaventura a une vision légèrement différente car le parc ne dispose d’une image de marque intégrant des personnages de cinéma. Les décors se constituent donc principalement de potirons et de légumes de saison. Halloween passe alors pour une fête traditionnelle empreinte d’un goût de nature. Le Parc Astérix et Walibi Belgium s’inspirent, pour leur part, de l’ambiance de films d’horreur. Le Parc Astérix n’a pas daigné investir son catalogue de personnages hérité des bandes-dessinées de Goscinny et Uderzo, peut-être parce que même les méchants y sont sympathiqes et qu’ils n’inspirent pas l’horreur. Quant à Walibi, l’absence d’image de marque forte lui impose de piocher dans le catalogue des films d’horreur connus, comme par exemple la poupée Annabelle qui fait son apparition dans le parcs ou les stéréotypes des films d’épouvante que nous avons déjà notés : asile psychiatrique, maison hantée, etc.
En conclusion, Halloween répond aux enjeux de proximité et d’évasion qui caractérisent la communication des parcs à thème : se rapprocher des visiteurs par une vision stéréotypée d’Halloween, l’appropriation de l’automne par les marques et ses personnages, adaptation des activités à différents publics, vision édulcorée ou véritablement effrayante de la fête. Enfin, les parcs à thème s’affichent comme les défouloirs d’une violence ancrée en chacun de nous, une envie d’avoir peur et de tester les limites du surnaturel, comme le promouvaient les surréalistes.

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Les parcs à thème et la fête : entre maîtrise et liberté

Le rapport d’activité 2015 de Disneyland Paris offre une première de couverture montrant des feux d’artifice s’échappant du château de la Belle au Bois Dormant. Le spectacle y est donc mis à l’honneur avant tout. Une visite dans un parc Disney est un spectacle en soi. Le rapport d’activité mentionne l’existence d’une scène où les visiteurs évoluent et des coulisses où fourmillent les employés. Les parcs d’attraction affichent généralement cette identité festive qui les rapprochent de l’ambiance des fêtes foraines ouverte à l’improvisation, la surprise et l’imprévu : souvenons-nous du slogan polémique du parc Astérix contre Disneyland Paris : « Là-bas les souris dansent, ici les romains valsent ». Le parc Plopasaland en Belgique se contente d’un slogan publicitaire simple et clair : « C’est la fête à Plopsaland ! ».

Les parcs d’attractions entretiennent un lieu étroit avec la fête depuis leurs origines. Esseyrtel et Rochette dans leur ouvrage Des mondes nouveaux, soulignent l’importance des fêtes foraines en lisière des expositions universelles et Gilles-Antoine Langlois remonte même jusqu’au XVIIIè siècle pour évoquer ce lien étroit entre fête et attractions : « Ce que les fêtes civiques proposaient avec fastes, les tivolis, récupérant les décors exotiques et néo-antiques à la mode en France depuis 1770, en feront du plaisir, du spectacle et de l’argent » (Folis, Tivolis et attractions).

La fête dans les parcs d’attraction présente une dialectique entre proximité et évasion. Proximité d’abord par la réappropriation des fêtes traditionnelles, comme Noël, la gaieté du printemps ou Halloween. Les décors dont s’ornent alors les parcs sont une manière de varier l’offre et de faire venir les visiteurs plusieurs fois dans l’année. Mais aussi évasion, car les décors s’inspirent des personnages fictifs que les parcs exploitent, qu’ils s’agissent de la bande à Mickey ou d’Astérix et ses compagnons. Les parcs fusionnent d’ailleurs les deux concepts : Disneyland Paris habillent ses personnages de tenues fleuries et fraîchement printanières lors de son festival annuel du printemps.

Comment des lieux organisés comme les parcs à thème peuvent-ils intégrer la fête dans leur machine bien huilée ? Comment l’improvisation propre à la fête prend-elle place dans des infrastructures accueillant des dizaines de milliers de visiteurs par jour ? Ou, plutôt, comment la fête est-elle faussement rendue naturelle ?

I – La fête domestiquée

Les parcs d’attraction sont des lieux fermés dans lesquels des milliers de personnes évoluent en huis clos durant toute une journée. Les spectacles apportent des moments de pause. Les nombreux reportages diffusés cet été sur les parcs d’attractions, en particulier le parc Astérix, nous chantaient la même rangaine : les spectacles sont des moyens de capter des foules et de limiter ainsi les temps d’attente aux attractions prises d’assaut. Les spectacles festifs sont donc des outils d’une stratégie avant tout. Un parc d’attraction se gère comme une route, il a son code et ses outils de captation de flux. La fête est un outil domestiqué.

Le statut du spectateur est essentiel pour les parcs à thème qui associent trop facilement fête et spectacles. Cependant, nous notons une évolution à travers le développement des activités interactives qui donnent une part plus importante au rôle du spectateur jusqu’alors passif. Dressons une brèves typologie des spectacles.

Pour les parcs à thème reposant sur la mise en scène de personnages fictifs connus, le spectacle le plus populaire est la rencontre organisée avec des employés déguisés en mascottes phares. Le parc Astérix dispose de son village gaulois reconstitué au centre du parc. Quant à Disneyland Paris, les points dédiés aux photographies avec les personnages de dessins animés n’ont cessé de se développer. Le parc a par exemple inauguré récemment le « pavillon de princesses » destiné uniquement aux rencontres entre les enfants et les princesses des dessins animés Disney. En 2015-2016, Disneyland Paris a aussi mis en place la « Jedi Training Academy », un spectacle entièrement interactif pour permettre aux enfants d’apprendre à manier un sabre laser en s’inspirant de la saga Star Wars dont Disney a acheté récemment les droits. 260 000 spectateurs et 13500 participants étaient déjà comptabilisés lors de la parution du rapport 2015. L’arrivée de l’interaction dans les parcs d’attractions correspond à l’essor des réseaux sociaux et répond à une demande de davantage de contacts avec les personnages qui font rêver les visiteurs.

Les spectacles traditionnels où le spectateur est passif ne sont pas exclus et permettent aux parcs d’investir assez peu d’argent tout en canalisant un grand nom de visiteurs plusieurs fois par jour. Ces spectacles s’inspirent souvent de la notoriété des personnages fictifs dont sont issus les thèmes des parcs. Les théâtres regorgent de spectacles de magie, danse, musique, voire de dauphins. Dans son rapport d’activité 2015, Disneyland Paris est fier d’annoncer que le spectacle « Chantons avec la Reine des Neiges » inspiré du succès mondial du film a conquis un million de spectateurs. Le nouveau spectacle « Mickey et le magicien » ouvert le 2 juillet 2016 au parc Walt Disney Studios s’inscrit dans la même veine en donnant « vie à la magie Disney » (site commercial de Disneyland Paris). Le nouveau spectacle du Parc Astérix, « Défi Romains-Gaulois » est du même type : une activité fondée sur l’univers de marque du parc. Seule exception au parc Astérix : que viennent faire les dauphins en plein milieu de la zone thématique dédiée à la Grèce ? Dans un reportage, nous avons pu voir qu’attirer des visiteurs pouvait bien permettre de faire une entorse à la logique thématique. En ce sens, le parc Astérix se rapproche des fêtes foraines en favorisant le spectaculaire au détriment de la cohérence, ce que ne permettrait jamais le géant Disney, seul capable de proposer des attractions banales dont les seuls intérêts sont le décor et la cohérence thématique.

La parade est un autre type de spectacle qui a ses particularités. Les parcs Disney sont les seuls à organiser de tels défilés. Les parades demandent en effet une grande logistique : des allées larges pour laisser passer les chars et accueillir le public, de vastes entrepôts, des employés en renfort (les parcs Disney disposent d’une équipe spécialisée appelée « Guest Flow). Elles requièrent aussi une forte identité de marque ou un thème pour alimenter l’imaginaire des chars. En France, seul le parc Astérix détient une telle image à part Disneyland Paris, les autres parcs n’ayant que des mascottes anecdotiques (Nigloland, Walibi ou Bagatelle, par exemple). Les parcs à dimension locale ou régionale pourraient cependant mettre en place des parades thématiques sur le thème du printemps ou de l’été par exemple, puisque la France a elle aussi une tradition de carnaval et de fêtes. Mais cela représente un budget important face au bénéfice incertain, alors que les personnages Disney font rêver et attirent par eux-mêmes des visiteurs. La parade est en effet un moment de rencontre entre les visiteurs et l’imaginaire. Le site commercial de Disneyland Paris présente ainsi la parade : « Retrouvez les célèbres personnages Disney sur fond de musique et de lumière. Plongez-vous dans cette atmosphère de fête magique. »

II – Un semblant de liberté

Comment les parcs font-ils pour afficher un semblant de liberté alors que la fête qu’ils proposent fait partie d’un mécanisme bien huilé ?

D’abord, les parcs s’adaptent aux saisons, comme si le parc se transformait naturellement au fil des métamorphoses du cosmos. Dans ce cosmos reconstitué, on trouve de la fausse neige en hiver et des citrouilles à Halloween. Créer une ambiance à chaque saison, c’est le moyen de faire revenir les visiteurs plusieurs fois dans l’année, et c’est aussi se rallier aux fêtes traditionnelles pour être en lien avec le présent et les attentes de chacun à un moment donné. Disneyland Paris explique dans son rapport 2015 cette démarche : il s’agit de « faire évoluer l’expérience des parcs tout au long de l’année pour surprendre les visiteurs ». Les cultures et les traditions sont ainsi mises en scène non pour imiter l’extérieur mais pour en offrir un équivalent imaginaire, comme l’abondance de fleurs et les œufs de Pâques au printemps, les toiles d’araignées et les citrouilles à Halloween, la fausse neige et le Père Noël en décembre. Les parcs à thème utilisent les clichés de chaque saison pour les montrer en trois dimensions, pour immerger les visiteurs dans leur propre imagination. Ainsi, la fête paraît naturelle par sa cohérence thématique avec l’extérieur, tout en investissant la fiction de la culture en arborant les mascottes des parcs aux couleurs de chaque saison.

Les parcs d’attraction offrent des lieux vastes où peuvent se produire des fêtes ex nihilo. La notion de place urbaine est revisitée. Devant les châteaux de parcs Disney dans le monde entier se trouve Central Plaza et à l’entrée du parc Town Square, lieux où se produisent danseurs, musiciens et chanteurs pour créer une ambiance festive et apparemment improvisée. La promenade devient un spectacle en soi : les Gardens of Imagination à Disney Shangai Resort font de la promenade une exposition à contempler, dans la tradition des jardins paysagers. Le village d’Astérix au Parc Astérix devient à certaines heures un lieu de rencontre avec les personnages. Quant aux zones thématiques de nombreux parcs à thème, elles proposent des spectacles « de rue » en lien avec le thème. Recréer une ambiance de fête est donc prioritaire dans un parc pour animer la promenade. On se croirait alors dans ce qu’on appelait au XVIIIè siècle les « folies », des jardins pittoresques aux multiples décors et animations. Seulement, la fête dans les parcs d’attraction n’a rien de spontané. Disneyland Paris propose même à ses visiteurs de se munir du programme des festivités de la journée en plus de la carte des parcs. La fête est une question d’horaires et de flux. Certains parcs reposent même sur cette nécessité d’organiser sa journée en fonction des horaires, comme le Puy du Fou dont l’offre se constitue uniquement de spectacles et comme le Futuroscope dont la majorité des attractions ont des séances à heure fixe.

Les spectacles dans les parcs à thème visent à imiter l’ambiance des foires par ce que nous appelons le principe de dispersion. En proposant une multitude de petits spéctacles en plus des grands rendez-vous de la journée, les parcs veulent donner l’impression de spontanéité. Bagatelle propose à Pâques une série d’animations dispersées dans le parc. Disneyland Paris proposent 15 points de rencontres différents avec les personnages Disney dans la journée ! Ces petits « happenings » permettent non seulement de produire une image de fête mais aussi de capter les foules et de réguler les files d’attente aux attractions. Le terme de « Festival » utilisé par Disneyland pour parler de ses activités saisonnières au printemps et à Halloween montre bien que les parcs veulent se réapproprier la culture de la fête de rue.

Nous conclurons avec Eyssartel et Rochette : le rapport des parcs d’attractions avec la fête est régi par leur statut particulier et leurs différences avec les fêtes foraines : les parcs sont spatiaux, capitalistes (et donc moralisateurs) et industriels tandis que les fêtes foraines sont cycliques, nomades (et donc frondeuses) et artisanales. La fête est un moment alors que les parcs à thème cherchent à gérer l’espace. Ils s’affirment dans une marque alors que dans les fêtes foraines, il y a autant de marques que de forains. Enfin, les parcs d’attractions rassemblent pour leurs valeurs (surtout les parcs Disney, ce qui demanderait un article en soi), tandis que les fêtes foraines sont avant tout des événements rebelles qui viennent envahir les places des villes pour en déranger la tranquillité. Par leur isolement insulaire et rural, les parcs à thème endiguent la fête pour mieux la contrôler.

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La communication des parcs thème sur leur territoire

Quand les parcs de loisirs se hisent au rang d’agences de voyages prescriptrices de destinations, le monde s’en voit comme retourné : les petites villes que sont les parcs de loisirs proposent leur propre brochure touristique en invitant les visiteurs à découvrir les alentours des parcs, alors que la tradition voudrait que ce soit les offices de tourisme qui proposent aux touristes de visiter les parcs à thème. Sur les sites de parcs à thème, on a l’impression que les parcs sont au centre et que les alentours sont rejetés à la périphérie comme des destinations annexes. S’opère alors un retournement des centres de gravité : les parcs constituent la destination principale alors que les villes autour font office de curiosités à voir le temps d’une excursion.Que cela révèle-t-il sur l’évolution de l’offre des parcs à thème ? Premièrement, les parcs de loisirs sont dotés de vastes parcs hôteliers et se considèrent donc légitimes pour être le centre de l’attraction. On ne séjourne plus à Paris ou à Poitiers pour visiter occasionnellement un parc de loisirs, on séjourne maintenant dans les parcs à thème et on sacrifie une journée aux villes historiques et aux autres curiosités hors des parcs. Deuxièmement, cette offre touristique qui dépasse les frontières des parcs à thème révèle, ou aimerait révéler, un rallongement des séjours dans les parcs. Troisièmement, les parcs à thème s’approprient leurs alentours territoriaux : l’immersion dans l’imaginaire ne s’arrête pas une fois les grilles franchies : l’aventure continue au-delà des parcs sous le sceau de l’identité de marque de chaque complexe. Disneyland Paris propose une « excursion magique » à Paris et le parc du Futuroscope invite à visiter le « pays du futuroscope », comme si toute la région Poitou-Charentes en dépendait. Quelle audace publicitaire ! En voyageant sur le conseil des parcs à thème qu’ils visitent, les touristes continuent d’être plongés dans une certaine magie, un certain état d’esprit commandé par les parcs à thème. Disneyland et le Futuroscope ne proposent pas n’importe quelle excursion : chacune d’entre elles correspond à leur identité propre

Disneyland et Paris

Des pôles d’attraction

Dans sa brochure, Disneyland présente le plan de son complexe touristique selon deux dynamiques : la force des symboles et l’intégration de sa périphérie. Le parc Disneyland est représenté sous l’hégémonie de son château féérique et le parc Walt Disney Studios sous le sceau de son château d’eau paré des oreilles de Mickey. Disneyland se divise en pôle d’attractions, révélant que son cœur de métier est l’animation. Sa carte est divisée en plusieurs pôles : le parc Disneyland, le parc Walt Disney Studios, le Disney Village, les hôtels Disney, Val d’Europe et les hôtels partenaires. Il est donc possible de tout y faire : s’amuser, dormir, effectuer ses achats

Paris est montré dans une zone floue à l’extérieur de la zone en surbrillance caractérisant Disneyland Paris. On en aperçoit la tour Eiffel. Dans la brochure de l’excursion « Paris Essentiels », on remarque sur la premièrepache du dépliant le château de la Belle au Bois Dormant faisant face à la Tour Eiffel. Les deux symboles de même taille mettent sur le même plan Disneyland Paris et la capitale française.

L’intégration de Paris

Disneyland propose à ses clients deux excursions à Paris : la première nommée « Journée magique à Paris » propose une « découverte des plus célèbres sites de la capitale à ne pas manquer » en mêlant trajets en bus touristique et visite des grands monuments comme la Tour Eiffel et le Musée du Louvre. La deuxième est intitulée « Paris Essentiels » et promet au cours de la promenade en bus dans les rues principales de la capitale un « temps libre pour vous immerger dans l’atmosphère parisienne et découvrir la ville ». Dans la brochure pour cette même excursion, les photographies ne sont pas choisies au hasard et incarnent l’identité Disney : on peut voir une photographie de la Tour Eiffel qui correspond au désir de la marque Disney de produire des symboles architecturaux qui matérialisent le rêve : la Tour Eiffel représente à elle seul le rêve de l’architecture métallique de la fin du XIXè siècle, ce même siècle ayant dans le parc Disneyland une partie dédiée : Tomorrowland, le lieu où se concrétisent les rêves des visionnaires du XIXè siècle. La deuxième photographie nous montre le Palais de Justice, véritable château médiéval que les concepteurs de la brochure n’ont pas choisi au hasard puisqu’il fait écho au château de la Belle au Bois Dormant du parc Disneyland. Ainsi, par de petites touches, Disneyland s’approprie la capitale et n’en sélectionne que ce qui peut étendre la magie et l’imaginaire au-delà des grilles du parc.

L’intégration de la région

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Le village de Barbizon prolonge la magie Disney par ses façades dignes de contes de fées

Sur la page destinée aux excursions possibles en région parisienne, Disneyland Paris, de nouveau, impose sa marque de fabrique : de Barbizon est montrée une charmante maison recouverte de lierres qui fait penser à une chaumière de contes de fées. Le site caractérise Barbizon comme un « village pittoresque » et « une vraie carte postale. Spécialiste des décors féériques et du divertissement, Disneyland prolonge dans ses descriptions l’immersion du visiteur dans un imaginaire nostalgique du passé à contempler. Les visiteurs sont invités à plonger dans la fiction et à regarder comme des spectacles les destinations qui leur sont proposées. Le fait que Disneyland propose principalement à ses clients de visiter les châteaux de la région n’est pas anodin : Disneyland veut étendre sa magie dans des monuments qui rappellent l’univers médiéval et imaginaire des contes de fées : Provins, Fontainebleau, Champs-sur-Marne, Vaux-le-Vicomte, Blandy-le-Tour, etc. Dans le cadre de Provins, le site de Disneyland prolonge la magie en proposant à ses clients d’éprouver « une expérience médiévale authentique, comme dans un voyage dans le temps. Face au château de la Belle au Bois Dormant miniature du parc, les visiteurs sont invités à passer un moment au château de Fontainebleau dans un château « grandeur nature ». Disneyland ne sélectionne que des destinations qui en mettent plein la vue et proposent des paysages féériques en lien avec son propre imaginaire pittoresque et spectaculaire, comme cette photographie de Moret-sur-Loing qu’on peut voir sur le site et qui a tant plu aux impressionnistes.

Le pays du Futuroscope

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Le Pays du Futuroscope, un territoire qui repousse les limites du simple parc

Une campagne publicitaire a récemment la force prescriptrice des parcs à thème. Il s’agit de dix affiches vantant la richesse de la région du Futuroscope, le Poitou-Charentes. Le parc s’est approprié toute la région pour en présenter les différentes attractions sous le label « Pays du Futuroscope ». On nous invite à nous rendre à La Vallée des singes, à La Planètes des crocodiles ou encore à séjourner dans des hôtels atypiques. Un site dédié, www.pays-du-futuroscope.com, a même été créé. Chacune des dix affiches se construit sur une injonction dépaysante : « Vivez au naturel », « Osez la rencontre », « Prenez votre envol », Ressourcez-vous », « Sortez la tête de l’eau », « Faites de beaux rêves », « Vivez au naturel », « Retrouvez vos origines », « Dormez sur l’eau », « Osez la couleur ». Nous pouvons classifier ces affiches en différentes catégories de promesses :

  • l’audace : « Osez la rencontre », « Osez la couleur »

  • le retour aux origines : « Retrouvez vos origines », « Ressourcez-vous », « Vivez au naturel »

  • l’inhumain : « Dormez sur l’eau », « Prenez votre envol », « Prenez de la hauteur »

  • l’évasion : « Sortez la tête de l’eau », « Faites de beaux rêves »

Il est aussi possible de classifier ces affiches par destinations :

  • Les animaux : la planète des crocodiles, la vallée des singes

  • Les hôtels : village flottant de Pressac, spa de la Roche-Posay, Défi-Planet

  • Les parcs : le Futuroscope, Center Parc

  • Les curiosités touristiques : le roc aux sorciers

  • Les villes : Poitiers, Chauvigny

La différence avec Disneyland Paris est notable : le Futuroscope n’infuse pas la réalité de sa propre identité. Les destinations proposées n’ont en effet aucun lien direct avec la technologie ou le futur. Il se fait simplement le messager du tourisme dans le département de la Vienne. De plus, le site internet invite les visiteurs à se rendre sur le site de l’office de tourisme de la Vienne sans proposer d’excursions dont l’imaginaire serait en lien avec la marque de fabrique du Futuroscope, ce que Disneyland propose, au contraire. Ainsi, il s’agit davantage d’un partenariat avec le département de la Vienne que d’une invasion ou d’une prolifération d’images du Futuroscope dans ses alentours. Le Futuroscope sert de marque mais sans matraquage.

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Typologie des campagnes de communication des parcs de loisirs

Les parcs de loisirs sont, contrairement au fêtes foraines, des espaces sédentaires. Ils doivent donc faire revenir les visiteurs et en attirer de nouveaux sur leur territoire. Différentes stratégies de communication existent. Nous en avons répertorié cinq. En fonction de l’identité des parcs, ceux-ci peuvent ou non utiliser plusieurs de ces stratégies. Un parc local comme Dennlys Parc dans le nord de la France aura moins de cordes à son arc que les parcs nationaux voire européens comme Disneyland Paris ou le Parc Astérix.

La première stratégie consiste à vanter l’intérêt d’une nouvelle attraction dans le parc dans le but de faire revenir des populations qui ont déjà visité le parc dans le passé. Il s’agit de créer une nouvelle attente et de montrer que le parc se renouvelle. C’est la stratégie la plus répandue. En 2016, le parc Astérix vend Discobélix, son nouveau manège à sensation avec le slogan : « L’attraction incontournaaaable ». En 2014, Disneyland a recouvert les murs du métro de Paris avec une publicité pour l’attraction flambant neuve « Ratatouille, l’aventure totalement toquée de Rémi » qui a coûté plus de dix millions d’euros. » En 2016, c’était un événement, « La Fête Givrée », sur le thème du succès « La Reine des Neiges », que Disneyland mettait à l’honneur. C’est également cette stratégie que les petits parcs utilisent. Le modeste Dennlys Parc annonce sur son site internet « 3 nouvelles attractions en 2016 ».

La deuxième stratégie consiste à attirer les visiteurs par des événements périodiques durant lesquels le parc se transforme au fil des saisons pour en montrer

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Disneyland Paris joue sur les stéréotypes du printemps en y associant ses personnages fétiches.

l’ancrage culturel. Les parcs se réapproprient alors le cosmos. Disneyland a fêté « le festival du printemps » en 2016 en ornant ses allées et ses espaces verts de structures et décors fleuris. Halloween et Noël font aussi l’objet de campagnes de publicité spécifiques pour les parcs qui décident d’ouvrir exceptionnellement leurs portes à ces périodes clés de l’année, ou comme pour Disneyland Paris qui reste ouvert toute l’année et se doit d’attirer les visiteurs malgré une saison au climat peu clément. Halloween, Noël et le renouveau du printemps sont des fêtes occidentales assez populaires pour permettre aux parcs sans identité de marque forte de se les approprier : ainsi, le parc Bagatelle dans le nord de la France organise une chasse aux œufs à Pâques. Le parc belge Bellewaerde ouvre ses portes pour des journées spéciales à Halloween et Noël en décorant ses attractions et ses allées pour l’occasion.

La troisème stratégie consiste à défendre l’esprit particulier du parc. Les parcs de loisirs se livrent à un concours de sensations fortes. Chaque parc veut être celui qui offrira le plus d’expériences uniques. Bagatelle a comme slogan « ça décoiffe ». Le Belge Plopsaland s’écrie « C’est la fête ». Walibi Rhone-Alpes se dit le garant d’un « grand mix de sensations !! ». Nous sentons que cet argument de vente est le plus utilisé pour les parcs familiaux à dimension local ou régional. Les attractions, le produit brut, sont mises à l’honneur à défaut d’une identité de marque plus forte. Ces parcs, faiblement thématisés, rattrapent leur absence de promesse d’imaginaire par les sensations offertes par les attractions. Nous revenons donc aux fondements des parcs de loisirs, les « amusement parks », qui sont nés en offrant des expériences physiques nouvelles, comme à Coney Island à Manhattan, au début du XXè siècle, où on se bousculait pour monter à bord des premières montagnes russes. Les parcs d’envergure modeste se rapprochent en ce sens des fêtes foraines où la cohérence thématique est sacrifié à l’ajout arbitraire d’attractions. Plopsaland, en Belgique, souffre d’ailleurs de ce désordre en se faisant le parc de tous les dessins animés pour enfants : Plopsa, Maya l’abeille, Heidi, etc. La course à la sensation provoque des décalages thématiques, comme à Nigloland, où « Le donjon du péril », nouvelle attraction reposant sur une chute libre depuis le haut d’une tour, adopte un thème médiéval sans lien avec le reste : chaque attraction a son thème.

Puy du Fou 2016 1

La quatrième stratégie consiste à faire reposer la communication avec les visiteurs sur l’univers fictif du parc, ce qui est réservé aux parcs qui racontent des histoires et on donc une identité thématique forte. La dernière campagne publicitaire du Puy du Fou consiste en une série d’affiches où se jouent des scènes ayant trait à l’histoire, comme si les spectacles proposés par le parc se métamorphosaient en scènes tangibles de l’histoire. Le slogan « L’histoire n’attend que vous » suggère que l’expérience du parc ne se résume pas à des sensations mais qu’elle conduit à un voyage dans le temps immersif. Disneyland Paris, au printemps 2011 a également utilisé cet univers fictif offert par le terreau des dessins animés Disney. Sur ses affiches, la famille du film « Les indestructibles » pose devant l’objectif devant le château de la Belle au Bois Dormant, comme dans un portrait de groupe. Les visiteurs deviennent, par un processus de substitution et d’identification au dessin animé, des personnages invités dans le grand studio de cinéma, la grande scène de théâtre, qu’est Disneyland Paris.

La cinquième et dernière stratégie relève de l’image des parcs. Leur notoriété est si forte qu’une image suffit à les reconnaître et à créer du désir. La publicité printemps-été 2016 de Disneyland Paris repose sur le fait que le parc est une destination désirable en soi et qu’il n’est plus nécessaire de le prouver par un matraquage d’images. Disneyland Paris joue la sobriété, ce qui est un luxe pour un parc de loisirs. Le désir n’est pas dans les attractions mais dans le fait d’y être, d’y avoir été. La publicité télévisée montre une famille constituée des deux parents et de deux pré-adolescents. La voix nous s’adresse aux parents: « vous allez enfin leur dire oui, oui à Disneyland Paris ». L’adverbe « enfin » suggère que Disneyland Paris est désirable en soi. La publicité ne crée pas l’envie mais donne les moyens de rendre le rêve désirable en annonçant la gratuité du séjour pour les moins de douze ans. En 2011, le Parc Astérix a aussi lancé une campagne fondée sur son image de marque en s’opposant avec humour à Disneyland Paris dans quatre slogans : « Là-bas les souris dansent, ici les romains affiche-Parc-Asterix-sourisvalsent », « Là-bas les Belles dorment, ici elles font la fête », « Là-bas les pavés, ici la plage », « Là-bas les contes de fées, ici les histoires de fou ». Cette campagne comparative oppose subtilement l’univers de Disney, vu par le Parc Astérix comme puéril, lisse et soporifique à l’univers gaulois humoristique et insolent de la bande-dessiné de Goscinny et d’Uderzo. La séduction vient d’un état d’esprit, d’un mode de fonctionnement issu d’un storytelling, et cela n’est possible que pour les parcs dotés d’une forte image de marque.

La communication des parcs de loisirs peut reposer sur plusieurs critères  les nouvelles attractions, la promesse du produit (les sensations), l’événementiel (au rythme des saisons), la force narrative du produit et la notoriété du parc. Les campagnes des parcs modestes reposent volontiers sur le sensationnel tandis que les parcs nationaux à forte notoriété jouent sur leur image et le postulat qu’ils sont désirables. En fonction de la période, les parcs à thème grande notoriété agissent cependant avec des arguments publicitaires classiques, comme le prix et l’ouverture de nouvelles attractions. Plus le parc est ancré, renommé et lié à une image de marque, plus il peut varier l’intérêt de ses campagnes publicitaires et diversifier ainsi ses publics. Disneyland Paris peut vendre son produit autant par des promotions que par son image désirable en soi, les deux étant parfois liés dans un même spot. Sur la page d’accueil du site commercial de Disneyland Paris, on trouve aujourd’hui des publicités défilantes sur plusieurs fronts : une promotion de 30% sur le prix, l’inauguration d’un nouveau spectacle, le grand nombre de sensations offertes, l’expérience magique des hôtels et un lien vers la page des nouveautés. Ainsi, chaque public est conquis selon son profil : familles qui veille à son budget, passionnés de la marque Disney, visiteur à la recherche de nouvelles attractions, etc.

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