Villages Nature : le mariage des siècles

Depuis les premières concertations entre Euro Disney et Pierre et Vacances Center Parcs en 2003 et son annonce officiel à la presse en novembre 2010, le projet Villages Nature lève progressivement le voile sur ce qui sera l’apparence du complexe d’éco-tourisme de demain. Cet immense centre de villégiature devrait ouvrir ses portes en 2015 et s’annonce comme le prototype d’un tourisme de masses fondé sur l’harmonie entre l’homme et la nature.

Cet article ne traitera pas des conflits qui opposent les deux leaders du tourisme européens à certains groupes d’habitants  sceptiques sur la valeur écologique du projet. Nous renvoyons les lecteurs intéressés par ce débat public au site qui lui est dédié : www.villagesnature.com.

L’objectif de cet article est plutôt de discerner les inspirations artistiques du projet Villages Nature. En effet, les messages défendus par le représentants du projet assument le grand écart temporel entre la mise en scène d’une nature nostalgique et la valorisation des technologies du futur liées au développement durable. Comment la frontière séparant ces deux univers se matérialise-t-elle dans les maquettes et les textes accompagnateurs du projet? Pour répondre à cette question, l’article s’appuiera sur l’analyse du dossier de presse officiel de Villages Nature disponible sur le lien suivant : http://corporate.disneylandparis.fr/CORP/FR/Neutral/Images/fr-2010-11-24-dossier-presse-villages-nature.pdf

Plan des futurs Villages Nature, à 6km au sud de Disneyland Paris et en contact direct avec l'autoroute A4

Au coeur de Villages Nature, un des paradoxes du tourisme contemporain

“La nature au coeur de la nature”: c’est ainsi que Philippe Gas, le président d’Euro Disney SCA et Gérard Brémond, le président de Pierre&Vacances Center Parcs, définissent l’esprit de Villages Nature. L’idée n’est pas neuve en soi. Val d’Europe, le centre urbain champignon du secteur IV de Marne-la-Vallée était déjà décrit sur le site de Disneyland Paris comme l’Île-de-France au coeur de l’Île-de-France pour son architecture typique reconstruite de toutes pièces à partir de matériaux locaux et d’inspirations haussmaniennes. Le parc Walt Disney Studios, le second parc de Disneyland Paris, propose à ses visiteurs de se promener dans une reconstitution asceptisée et formidablement stylisée d’une rue typiquement haussmanienne, pour leur permettre d’être à Paris au coeur de Paris.

Ce qui différencie l’original de la copie et rend le premier plus fade que la deuxième, c’est la puissance de la scénarisation de la copie. A travers ses distorsions de dimensions, le soin donné aux plus petits détails et aux passerelles temporelles, les copies dites “hypperréelles” offrent d’avantage de sensations et d’expériences stimulantes pour chacun de nos sens. De la même façon, Moret-sur-Loing peint par Alfred Sisley comme une forteresse compacte perchée en haut de sa colline augmente considérablement nos attentes quant au village qui a servi de modèle au peintre. Sur la toile, l’entrée de moret scénarisée par son pont mythifie le thème de la porte et mystifie l’intérieur du village. Il n’est pas étonnant que Disneyland Paris inscrive Moret-sur-Loing aux curiosités à voir absolument pour les visiteurs de passage en Île-de-France. Le royaume de Raiponce y est tout à fait semblable : une île cônique protégée par l’eau, une image toute faite pour être vue.

Moret-sur-Loing peint par Alfred Sisley en 1885

Disney n’est pas le seul à opérer ce dédoublement interne, qu’on peut aussi qualifier de cannibalisme. Certains quartiers de Paris peuvent nous donner le sentiment d’être “plus” à Paris que dans n’importe quel autre quartier.  C’est un phénomène beaucoup plus large qui signale notre tendance à regarder nos paysages à travers des souvenirs, des peintures, des films ou des livres, en confirmant les thèses de nombreux auteurs qui, de Boileau à Baudrillard en passant par Victor Hugo, affirme que le simulacre parle bien mieux du vrai que le vrai lui-même.

Ainsi, Villages Nature nous en apprendrait bien plus sur la nature que la nature elle-même, mais derrière quelles inspirations et quelles références?

 

Les représentations de la nature parfaite : entre Art Nouveau, régression et chaos

Les documents officiels décrivant Villages Nature n’associent pas seulement le développement durable à une série de techniques (recyclage, géothermie, énergie solaire) mais aussi à un ensemble de critères esthétiques qui traduisent par l’apparence une certaine idée du développement durable. Rien n’empêche un gratte-ciel d’être respectueux de l’environnement. Cependant, comme on peut le comprendre en lisant New York Délire de Rem Koolhass, le gratte-ciel de Manhattan a le malheur de diffuser dans les esprits les idées d’orgueil, de rupture, d’excès, de grisaille et d’oppression.

Pour Villages Nature, le développement durable, c’est une “histoire coherente” à raconter au coeur d’un microcosme autosuffisant. Voici un extrait du dossier de presse :

“Villages Nature sera constitué à plus de 90 % de sa surface d’espaces naturels – le Coefficient d’Occupation des Sols sera en effet inférieur à 10 % – et proposera de nouvelles expériences fondées sur les espaces lacustres, les jardins, les sentiers pédestres et équestres, une ferme bio, des itinéraires de découverte, ou encore des expériences culinaires ou des festivals liés aux saisons. Cet ensemble formera une « histoire » cohérente”.

La vision de la nature selon Villages Nature, c’est d’abord celle d’une nature immersive enfermée au sein d’une limite définie. Dans la tradition des plus anciens parcs à thème, le projet s’inscrit comme un prototype de ville du futur en s’inspirant des meilleures technologies et en n’oubliant pas l’aspect divertissant du voyage. Les activités qui seront offertes aux visiteurs de Villages Nature ne sont pas dénuées de certaines caractéristiques, voire de stéréotypes, habituellement associées aux représentations de la nature idyllique qui marient de façon ingénieuse l’âge d’or des anciens et les tendances contemporaines : le rythme des saisons paysan cohabite avec la ferme biologique et le lagon géothermique, si bien qu’on ne perçoit plus bien la limite entre la régression des modes de vie et l’innovation technique. Il semblerait même que cette dernière se mette au service de la première.

Les revendications esthétiques de Villages Nature corroborent à ce discours. La référence que le dossier de presse accorde à l’artiste Friedensreich Hundertwasse, pourfendeur de la ligne droite en architecture, identifie les futures constructions de Villages Nature à des structures oniriques qui rappellent l’univers de Gaudi ou encore certains paysages de dessins animés Disney. Friedensreich Hundertwasse est intéressant pour sa conception de formes chaotiques intemporelles tout droit sorties d’un rêve ou d’une peinture impressionniste. Villages Nature assimile le développement durable à des formes architecturales qui effacent les frontières entre les différents éléments. De manière arbitraire, on ne peut qu’être tenté de penser aux univers à la fois futuristes et régressifs de films de science fiction comme La Planète des Singes ou Avatar. Futuristes car scènes de formes encore inconnues dans nos villes ; régressifs car ramenant l’homme à sa relation originelle avec son environnement.

Esquisse de Villages Nature pour le dossier de presse : on note l'esthétique à la fois futuriste et régressive

Les mouvements du tournant entre les XIXè et XXè siècle, comme l’Art Nouveau et Arts & Crafts sont également clairement assumés comme sources d’inspiration. Cette période est primordiale car elle est l’expression d’une véritable transition entre deux époques marquées par les bouleversements techniques et sociaux apportés par la révolution industrielle. L’art pénètre le quotidien et notamment la publicité, à travers les affiches emblématiques d’Alfons Mucha, tandis que l’industrie s’intègre aux compositions artistiques et architecturales : le Grand Palais et les verrières de gare soutenues par de longs pilliers en acier sont caractéristiques de cette époque. L’Art Nouveau de Guimard comme de Mucha ont mis à l’honneur l’extension infinie de ces nouveaux matériaux dans des oeuvres rendant hommage à la nature, qu’il s’agisse des bouches du métropolitain parisien ou des chevelures féminines et sensuelles des affiches de Mucha. C’est aussi à cette période que naît la passion des jardins et de leur réprésentation car ils sont vus comme des catalyseurs de la subjectivité humaine. Monet n’a pas seulement construit son jardin de Giverny, il l’a aussi peint pour les qualités pittoresques et lumineuses qu’il lui a lui-même données. Les plus grands bourgeois et même l’empereur Napoléon III sont férus de ces jardins artificiels parmi lesquels figurent bien sûr les bois de Vincennes et Boulogne.

Villages Nature affirme donc une nouvelle transition. De même que la révolution industrielle a donné lieu aux paysages les plus étonnants en juxtaposant les oeuvres de la tradition aux découvertes de la modernité (telles qu’ils sont peints par Baudelaire ou Jules Verne), le XXIè siècle s’apprête à marier l’innovation technique aux représentations traditionnelles de la nature. Le message de Villages Nature coupe les ponts avec la réalité pour investir l’univers des songes et l’atmosphère des grandes découvertes.

Villages Nature : l’affirmation de la supériorité de la culture

Que ce soit dans le cas du futurisme régressif, de la régression futuriste ou des inpirations tirées du XIXè siècle, l’esthétique que Villages Nature attribue au développement durable est dotée d’une caratéristique qui ne démord pas de l’orgueil humain dont le projet se défend ouvertement : le contrôle de l’espace et sa délimitation systématique. Villages Nature ne semble pas construit pour être un exemple mais pour rester une exception, une frontière à franchir. Pour émerveiller, Villages Nature doit rester différent de la véritable nature qui, elle, se trouve de l’autre côté de la frontière. Villages Nature n’est ni plus ni moins une nouvelle affirmation de la supériorité de la création humaine sur la nature. La provocation est doublement géniale : non seulement Villages Nature déforme la nature en créant une nature jugée meilleure inspirée de l’imagination et de l’intelligence humaine (peut-être à juste titre), mais il prétend aussi reconstituer ce qu’il nie.

Johan Boittiaux

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Classé dans Urbanisme et développement durable

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