Commentaire du poème « Le vrai lieu de la salamandre » d’Yves Bonnevoy

La dernière section du recueil Du mouvement et de l’immobilité de Douve s’intitule « Vrai lieu ». A l’issu du recueil, on s’attend à voir apparaître une révélation faisant suite aux atermoiements des autres sections comme « Théâtre » ou « Douve parle ». Le titre « Vrai lieu de la salamandre »du poète que nous nous proposons d’étudier nous promet un double projet. D’abord, la révélation d’un lieu saisi dans l’intensité de sa sincérité. Ensuite, une révélation sur la signification de la salamandre. Le premier vers ouvre une fenêtre sur une troisième dimension, cet instant d’immobilité saisie dans la « surprise » éprouvée par la salamandre. Bonnefoy saisit un instant dans sa fugace fixité. Il concrétise dans son poème l’instant saisi dans sa spatialité. Cette révélation ne s’accomplit pas dans l’idée mais dans le lien constant entre le lieu et la pensée. Il s’agit d’une fusion féconde qui saisit le lieu dans la force de l’instant. Pour résumer, la voix du poète s’exprime dans une triple dimension : il s’agit d’une déclaration de satisfaction (le mot « joie » apparaît dans la troisième strophe), d’une rétrospection dans le récit du lien et de l’instant. Enfin se produit une révélation qui fait fusionner l’instant et l’éternité dans un rapport cosmique au monde (occurrence du mot « astres » dans la quatrième strophe).

I – Une déclaration emplie de satisfaction

1.Lyrisme encomiastique

Le poète déclare dans ce poème la réussite d’un projet. La tonalité y est prurement encomiastique, comme le montre le superlatif « le plus pur », ainsi que la mention d’un « grand feu ». Le lieu est caractérisé par la « clarté des fenêtres ». La satisfaction du poème prend son acmé dans l’apostrophe lyrique « O ma complice et ma pensée » suivie d’un contre rejet qui met en relief « De tout ce qui est pur ».Il s’exclame à trois reprises « Que j’aime… ».

2.Révélation dans la joie

Que cette joie traduit-elle ? Nous avons affaire à une épiphanie, à une intiation révélatrice d’une vérité supérieure qui nous fait avancer depuis les balbutiements : « premier pas de la conscience ». Le rythme enthousiaste met en relief les segments clés : « le mythe le plus pur », « De tout ce qui est pur », « La seule force de joie » ainsi que les oppositions « Son regard n’était qu’une pierre/Mais je voyais battre son cœur éternel ».

3. La salamandre complice

Ainsi, cette révélation dévoile un premier aspect de la salamandre comme une « complice ». Le poète a accès à ce qui est au-delà des apparences : « Son regard n’était qu’une pierre/Mais je voyais son cœur battre éternel ». Ces deux vers sont les marques de l’épiphanie célébrée par le poète. La salamandre accompagne le poète dans son initiation emplie de joie. Cette déclaration prend place dans un cadre, un instant et un lieu propices à l’épiphanie. Le poète n’en fait pas seulement la célébration mais aussi le récit.

II – Une rétrospection dans le récit de l’instant et du lieu

1.Le récit de l’instant

Cette initiation prend son ampleur dans un poème qui est un étrange récit de l’instant. Le poème s’ouvre en effet sur la photographie de l’immobilité de la salamandre au présent de narration, ce qui reproduit l’instant relaté par le poète dans un effet pictural. Dans un effet d’allitération en -s associé à une assonnance en -i, le lézard prend vie tout en étant figé. La deuxième strophe écrite à l’imparfait ressaisit le cadre où la révélation a eu lieu : « La salamandre était à mi-hauteur/Du mur, dans la clarté de nos fenêtres ».

2.L’immobilité

Le poème saisit un instant dans son immobilité : la salamandre « s’immobilise » et a un regard de « pierre ». Le poète mentionne aussi les vertus du « silence » et de l’« inerte ». L’instant ne peut s’accomplir que si on « retient son souffle », si on « attend l’heure », si on « tient au sol ». Le poète fait l’éloge du silence et de l’immobilité qui procurent un instant révélateur. Il s’agit d’un récit qui se pose en contre-récit. Par l’éclair du poème s’exprime l’éclair du moment ressaisi.

3.Le mythe de la salamandre

La salamandre n’est alors plus seulement complice, elle devient un « mythe ». Elle est un récit fondateur. Le poème prend alors une ampleur symbolique et explicative. Le récit de la salamandre fait accéder à une vérité supérieure sur le monde. De quoi s’agit-il ?

III – De l’instant à l’éternité, du concret à la spiritualité

1.L’éternité

Le poème repose sur une antithèse fusionnelle entre un court instant (la salamandre est « surprise », elle n’est qu’à « demi hauteur » du mur) et l’éternité. En effet, la salamandre « feint la mort » son cœur bat « éternel ». La mention de l’accord avec les « astres » introduit une dimension cosmique qui rend profond le moment vécu. Comme Bonnefoy le dit dans un poème de Hier régnant désert, c’est dans un court instant qu’on « puise de l’éternel ».

2.Du concret au spirituel

Une série de parallèles est effectué afin de dénoter la lecture spirituelle d’éléments concrets. La conscience se lit dans les « pierres ». Un jeu de détournement lexical font de l’élément concret « feu » un « esprit ». La clarté des fenêtres est à prendre au sens propre et au sens figuré. Elles illuminent à la fois le lieu et l’esprit par la polysémie du nom « clarté ».

3.Salamandre : allégorie

La salamandre adopte alors une troisième dimension : elle devient allégorie de l’éternité. Se produit alors une opération chère à Bonnefoy : un objet concret devient le puits d’une pure connaissance, à l’instar de Douve, mentionnée comme « lande résineuse » dans un poème au début du recueil Du mouvement et de l’immobilité de Douve, et qui devient l’allégorie de toute la poésie.

Yves Bonnefoy, même si la poésie du XXè siècle tend à effacer l’expression du moi, n’abandonne pas la poésie lyrique et célèbre l’avènement d’un nouvel horizon de la conscience dans la saisie d’un instant et d’un lieu féconds à la révélation d’un tel horizon. La salamandre est l’être concret qui est à la fois l’origine, le réceptacle et l’allégorie de cette épiphanie.

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